Il était tout à fait naturel que je sois là pour Jordan. C'est ce qu'on fait entre amies. Elle était l'une de mes plus anciennes et meilleures amies. J'ai beaucoup de mal à m'attacher aux autres, à me lier, à faire confiance. Je ne me confie pas non plus facilement. D'ailleurs - et malgré la confiance que j'ai en Jordan - j'ai beaucoup de mal à confier des choses personnelles. Ce n'est pas mon point fort. Comme Wyatt, je suis secrète sur quelques détails. Au moins, chacun d'entre nous respectait les mystères de l'autre sans lui pauser de questions. C'était très bien comme ça, mais nos secrets pourraient t-ils être à jamais cachés ? Ralph Waldo Emerson a écrit qu'il n'existe aucun secret qui ne puisse être découvert. On ne peut rien cacher dans le monde civilisé. Notre société est comme un bal masqué, chacun y cache sa véritable nature et elle est révélée par le choix de son masque. J'ai peur qu'un jour, Wyatt découvre qui je suis réellement : Un monstre capable d'absorber l'énergie vitale de quelqu'un. Un monstre capable de tuer. J'ai beau avoir appris à maîtriser ce pouvoir pour ne plus avoir à le subir, il n'en reste pas moins que je n'accepte pas ce que je suis. Je suis toujours persuadée que mon entourage serait effrayé par cette réalité, par ce pouvoir. Et puis, je sais aussi que Wyatt ne croit pas au surnaturel. Je ne suis vraiment pas persuadée qu'il accepterait d'avoir une copine comme moi. Parfois, il m'arrive de me demander comment je peux lui faire ça. Il serait préférable de m'éloigner tout de suite, de disparaître et de faire comme si je n'avais jamais existé. Le problème est que je suis incapable de le faire, de rompre et de fuir.

« Je serais toujours là pour toi Jordan et tu le sais. » - Répondis-je à son merci alors qu'on se dirigeait vers la salle à notre disposition. Nous nous retrouvions seules et ma première pensée fut pour Wyatt. Je ne pouvais pas être partout à la fois, mais je savais qu'il avait très certainement besoin de moi. Si il m'entendait penser cela, il nierait tout en bloc, j'en suis certaine. Les hommes ne veulent pas se montrer vulnérable, pourtant, chaque âme humaine l'est. Wyatt réapparut enfin avant de se cogner dans l'angle du mur - « Wyatt ça va ? » - Demandais-je, inquiète. Il ne s'était pas cassé le nez au moins ? - « Faites pas attention à moi, j'fais que passer. » - Mon regard croisait le sien. Je n'eus même pas le temps de rétorquer qu'il tournait les talons. Il fallait pourtant que je lui parle. Je me faisais du souci pour lui, je me fais toujours du souci pour Wyatt, mais la situation était difficile. Je voulais aller le voir, mais Dirk semblait se l'être accaparé. Je me tournais alors vers Jordan. Celle-ci me demanda si je voulais aller voir Jeremiah, mais je refusais de la laisser toute seule. Elle s'était calmée et j'avais peur qu'elle se remettre à paniquer une fois seule. J'allais rester avec elle. Enfin, il y'a aussi une raison pour laquelle je préférais resté ici : Je redoutais d'aller voir Jeremiah, brancher à des machines. Serais-je capable de supporter ce choc ? Je voulais aller le voir, mais j'avais peur de ce que j'allais voir. Jordan me quittait pour se diriger vers la chambre de Jeremiah. Elle m'annonça que je pouvais y aller, qu'elle resterait ici avant de s'asseoir sur l'une des chaises du couloir. Je l'avais suivie et jetais un coup d'oeil à travers la chambre. J'avais pensé à y aller avec Wyatt, mais finalement, ce n'était peut-être pas plus mal que j'y aille seule. J'allais très certainement me remettre à pleurer, à relâcher toute cette angoisse et je ne voulais pas que Wyatt voit cela. Il devait me trouver suffisamment faible et pleurnicharde comme ça. Je lançais un regard à Jordan avait de pénétrer dans la chambre. Je m'approchais du lit où était étendu mon frère de coeur. Il avait un bandage autour de la tête et des tuyaux le reliait à des machines. Le voir dans cet état me faisait beaucoup de mal. Je le fixais un instant, bouleversée par les images que j'avais. Je me laissais tomber sur un fauteuil, silencieuse. En fait, j'étais incapable de dire quoi que ce soit. Je laissais des larmes couler le long des mes joues. Que s'était t-il réellement passé ? Qu'est-ce que les médecins avaient omis de nous dire ? D'ailleurs, pourquoi est-ce que c'était une interne qui s'était occupée de lui ? Je voulais mon ami entre les mains des meilleurs. Ils avaient intérêt à nous le ramener. Je restais plusieurs minutes assise là à le regarder sans rien dire. C'est ce qui arrive dans les situations comme celle-ci : Je me complais de longs moments de le silence. Les mots étaient inutiles de toute façon. Je soufflais un bond coup avant de sortir de la chambre, essuyant les larmes qui avaient coulé. C'était débile, les autres verraient bien que j'avais pleuré. Mes yeux devaient être rouges et gonflé par les larmes, si on y ajoute mes cernes, je devais vraiment avoir l'air de rien. Peut importe.

J’entendis vaguement la voix de l’étudiante, trop occupé à faire face au mur sur lequel je m’étais cogné et qui me toisait avec une franche et stupide curiosité. Je me surpris à l’appeler « il » et décidais qu’il était grand temps de prendre l’air lorsque j’aperçus la silhouette carrée de mon meilleur ami m’entraîner du regard avant de prononcer quelques paroles que je n’écoutais qu’à moitié, retenant que les mots « allons », « dehors », « string ». Je répondis par un habituel froncement de sourcils et décrétais une fois de plus avoir besoin d’air. Non, Dirk n’était pas de ce penchant… quoi que, ses airs un peu bourrus parfois, il pouvait très bien se cacher derrière une offensive comme celle-ci. N’importe quoi. Il fallait que je sorte. J’adressais un regard à Jaymee et répondais de la main par un geste qui signifiait que tout allait bien avant de rabattre celle-ci sur mon nez, entreprenant de masser quelque peu celui-ci dans un geste inutile et placébo. A nous deux, Wyatt…tu tiens le coup ? Nous nous dirigeâmes vers un escalier de secours, ça ne m’étonnais pas de Dirk, nous irions probablement plus vite. Descendant vers la sortie la plus proche, je ne décrochais ni regard, ni mot avant d’atterrir dehors, respirant l’air chaud sous une nuit parfaitement sombre. « Jordan est en cloque. » Laissais-je entendre, soulagé de pouvoir raconter à quelqu’un ce que je venais d’apprendre d’une discussion pourtant privée à l’angle d’un couloir. « Ça fait du bien de le dire mec. » Je lui adressais un large sourire, fouillant dans un geste instinctif dans mes poches, constatant une nouvelle fois qu’elles étaient vides, sans cigarettes, sans l’âme de mes poches. Je tapais contre le torse de celui-ci pour trouver une bosse carrée qui m’indiquerait qu’il en avait sur lui. Dirk dehors pour faire un tour, pour prendre un bon bol d’air ? Impossible. J’attendais naturellement qu’il me tende mon précieux sésame. « De Jeremiah. » Ajoutais-je en croisant son regard. Des fois que. Je me surpris à sourire, à être pris d’une envie de rire, d’éclater de rire, pris d’une euphorie passagère et violente pas d’un rictus mauvais, gêné ou stressé, je me sentais bien totalement bien, mieux qu’un état de plénitude absolue, tout m’était désormais drôle, drôle à en mourir de rire. Je ris dans un éclat à en faire trembler les murs, me tenant les côtes (cette expression prenait désormais tout son sens). « Jeremiah. Papa. » Je sentis les larmes me monter aux yeux tandis que j’avais soudainement mal à l’estomac à force de rire. « Ça fait de nous genre… des oncles. Dirk. Un oncle. » Dirk et les enfants, c’est une toute autre histoire et cette pensée ajouta à ma crise de rire de nouveaux éclats. Je dû me retenir en posant ma main sur l’épaule de celui-ci. « Mini-Jeremiah. La clope au bec et la touffe de cheveux. » Une dame passait à côté de moi, me regardant comme si je souffrais de démence avec à la fois de la pitié et de la compassion dans son regard. Je lui adressais un large sourire qui se fendillait jusqu’à se briser pour laisser passer un rire sonore. Je m’arrêtais alors, tout naturellement, essuyant mes larmes. « J’aurais besoin d’une bonne clope. »

Cela faisait quatre jours que Jeremiah était entré à Saint Luke Hospital. Quatre jours qu'il était plongé dans le coma suite à un accident vasculaire cérébral causé par une tumeur au cerveau qui le ronge depuis plus de quatre mois. Il avait été opéré et une petite partie de la tumeur avait été retiré. Son état était incertain et les médecins se sont relayés à son chevet, tout comme ses amis qui sont venus le voir. Ses constantes sont restées normales jusque dans la nuit du 4e jours où son électrocardiogramme s'est modifié. L'interne Katharina Laurens qui s'était occupée de lui a constater des signes de réveil. Et deux heures plus tard, Jeremiah Mason reprit connaissance au petit matin. S'ensuivit une batterie d'examens pour vérifier toutes ses fonctions vitales. Des mini pertes de mémoire ont été diagnostiqué ainsi qu'une légère difficulté à marcher. Toutefois, malgré ses séquelles, le journaliste a échappé au pire. La mère de Jeremiah resta à son chevet, comme sa petite amie Jordan Blackwell. Le réveil était assez douloureux pour le jeune homme qui avait quand même été opéré du cerveau. Il se sentait aussi très contrarié du fait que tout le monde sache à présent qu'il était malade. Lui qui avait voulu taire son état de santé devait à présent supporter certains regards. Il savait aussi qu'il n'était pas guéri, loin de là et qu'il allait encore supporter cette maladie. Toutefois, comme à son habitude, il est décidé à reprendre le contrôle de sa vie et à continuer à faire son bonhomme de chemin.

Après son réveil, Jeremiah est resté deux jours de plus pour finir quelques examens. Il avait la visite régulière de quelques amis encore. Jaymee et Wyatt s'étaient enfin affichés en couple. Il était content pour ces deux là. Il espérait que cela allait donner du bien pour l'un comme pour l'autre. Lui même ne savait plus où il en était avec Jordan. Juste avant son AVC, ils s'étaient tous les deux rapprochés à Austin, si bien qu'ils avaient à nouveau couché ensemble. Mais à présent, Jeremiah était certain de ses sentiments. Il n'avait pas agi sur un coup de tête. Peut-être que certains dirons que c'est précipité mais il savait qu'il avait peut-être peu de temps devant lui alors il ne voulait pas se poser davantage de question, mais plutôt agir. Le journaliste quitta donc l'hôpital. Il était à présent suivi ici, à Saint Luke. Cela lui éviterai à présent de faire des allées-retours jusqu'à Pittsburg. Et puis, il n'avait plus à cacher la vérité à sa mère qui s'était inquiété, tout comme à ses amis. Il pouvait le cours presque normale de sa vie. Presque.