« Noah, tu voudrais aller me ranger ces bouquins. » - Je lançai un sourire amusé à Anabell - « Un jour, il faudrait que vous pensiez à me payer. » - plaisantais-je. Je saisis alors la caisse et me dirigeai vers la première rangée d'étagères. Rien n'était plus plaisant que d'aider les bibliothécaires. Je passais le plus clair de mon temps ici, car c'était un endroit à la fois paisible et chaleureux. Je m'y sentais chez moi. J'aimais l'odeur du papier noirci, les traces qu'avaient laissé les nombreux auteurs dont les œuvres reposaient ici, comme des morceaux de leurs âmes, d'infimes particules de leurs vécus. Ma vie était rythmée par la littérature et j'avais parfois l'impression de voguer sur son fleuve, comme si c'était elle qui dirigeait mes actions. Des mots, si nombreux soient-ils, restent pourtant des mots. Mais je voyais les choses autrement, pour moi les mots permettaient de mettre un pas devant l'autre, d'avancer. Je posai le carton sur le plancher, plaçant quelques livres à telle ou telle place. C'était dans ces moments là que je ressentais le plus la liberté qui m'était donnée, car mes pensées pouvaient aller à n'importe quoi, à des choses futiles et agréables. Ici je n'avais pas à me soucier des autres, je n'avais pas à m'inquiéter sur ce qui allait se produire, si je serais toujours en vie l'instant d'après et encore éprouver le plaisir de lire. Non ici je n'avais pas à me soucier de ces choses là, et c'est ce qui me rendait heureux. Quand on vit en milieu carcéral pendant plusieurs années, et que l'on sort, on se rend vite compte que l'air est bien plus respirable au dehors. Les cellules font moisir les hommes, les rendent moroses et violents, elles les rendent fous. Je plaçai le dernier jour d'un condamné sur le haut de l'étagère, et reprit mon carton en avançant vers un autre rayon. Je cherchais la bonne place pour chaque livre, méticuleusement, quand j'entendis un murmure de l'autre coté de l'étagère-ci - « Psst ! » - Je me baissai pour observer d'où cela provenait, regardant par la fente - « Là, juste en face de vous ! » - Je vis enfin une jeune femme, tout sourire qui me dévisageait - « Bonjour ! » - souffla-t-elle. Je fronçai les sourcils, et finis par sourire - « Bonjour. » - Je posai un coude sur l'étagère, esquissant un rictus amusé - « Vous cherchez quelque chose ? Je peux peut-être vous aider. »

« Vous travaillez ici ? » - questionna la jeune femme. Si je travaillais ici ? C'est ce que la plupart pensaient, je passais tellement de temps au milieu des bouquins, que c'était à se demander si je n'était pas moi même un personnage de fiction. Remarque, avec tout ce qui m'était arrivé dans ma vie je suis persuadé qu'il y avait de quoi faire tenir en haleine de potentiels lecteurs. Mais je ne m'imaginais pas partager mes péripéties avec le grand public, j'étais bien trop pudique pour ça. Non, je ne travaillais pas ici mais c'était tout comme. Je souris à la demoiselle et lui répondis - « Mh-mh, oui en effet, je travaille ici. » - Cela m'amusait de le faire croire, cependant. Et qu'y avait-il de mal à conseiller après tout ? Ce n'est pas comme si j'usurpais l'identité d'un employé ou réclamais un salaire pour un emploi fictif. Je mentais pour la bonne cause, et si par ce biais je rendais des gens heureux, je jugeais bon de le faire - « Hum moui, je cherche un bon livre fantastique. Vous pourriez peut-être me conseiller ? » - ajouta-t-elle. Un bon livre fantastique ? Très bien, j'allais lui trouver quelque chose de vraiment passionnant. Je ne voulais pas tomber dans la basse littérature, populaire et généralement mal écrite. Je ne voulais pas lui conseiller du fantastique facile et pauvre, car j'en étais tout bonnement incapable. Je désirais lui dégoter un chef-d'oeuvre, véritablement - « D'accord, je vais voir ce que je peux faire. Vous ne le regretterez pas. » - Je me mis en quête de la trouvaille parfaite, cherchant et fouillant les ouvrages. C'était couru d'avance, et me connaissant je ne pu me résoudre à choisir un seul livre, je lui dénichai donc plusieurs bonnes histoires. Je contournai l'étagère afin de rejoindre son coté - « Me voilà. J'ai trouvé quelques choses sympathiques. Alors d'abord, il y a Shining de Stephen King, haletant et pleins de rebondissements. Il y a ensuite Fahrenheit 451 de Bradbury, intriguant et franchement bon. Et enfin du Lovecraft. C'est Le cauchemar d'Innsmouth, il est excellent. » - je lui agitai mes trouvailles devant le nez, ravi de pouvoir aider - « Alors quel membre du trio infernal aura le privilège d'être dévoré par une charmante lectrice ? »

« Quelle rapidité! Vous avez l'air d'en connaître un rayon sur le genre fantastique ! Vous êtes un passionné? » - A cette question, un sourire en coin se dessina sur mes lèvres. J'étais passionné par les livres oui, et même plutôt calé. Mais pour moi ce n'était pas simplement une passion, un passe-temps - même si ça l'était quand même - c'était plutôt ma vie. Oui, j'incarnais la littérature même - « Oui, c'est le cas. Je pense que la littérature est un parfait exutoire, quelque chose d'indispensable permettant de s'échapper du réel que nombreux sont à fuir. Le fantastique est un genre intéressant mais j'aime beaucoup aussi la poésie, les romans d'aventures, les livres du domaine étranger ou encore les épopées antiques. » - Une fois que je lui eu présenté le trio littéraire, la jeune femme pris un air réflectif et finit par dire - « Oh je l'ai déjà lu celui-ci. Il a même été adapté par Stanley Kubrick en s'inspirant de cette oeuvre mais le film n'a pas respecté les thèmes abordés par Stephen King. Mais c'est sûr que niveau fantastique, il est vraiment pas mal ! J'ai entendu dire qu'il a eu l'idée d'écrire ce livre lors de son séjour dans un hotel ayant la réputation d'avoir des phénomènes étranges... » - stupéfait, j'haussai les sourcils, agréablement surpris - « C'est exact. Jack Nicholson est incroyable dans son rôle mais c'est certain que ce bouquin est bien mieux. Mais King insatisfait, filmera le téléfilm The Shining pour une adaptation plus proche de son livre. Quoi qu'il en soit, vous vous y connaissez. » - C'était agréable de discuter avec quelqu'un qui appréciait ces oeuvres. D'ailleurs j'eus à peine le temps de réaliser que la demoiselle enchaîna - « En ce qui concerne Fahrenheit 451, le prix Hugo du meilleur roman lui a été décerné en 1954. Si posséder des livres devient un crime, alors l'humanité deviendrait plus bête qu'elle ne l'est. Je n'ai lu que le résumé de celui-ci donc je crois qu'il aura l'honneur de passer entre mes mains ! Je suis désolée d'être aussi bavarde, je suis Leighton. » - « En effet. Vous vous imaginez un monde sans livres ? Moi pas. Bon choix en tout cas, vous verrez il est génial. Enchanté, Leighton. » - Je marquai une pause, la dévisageant. Je mis un moment avant de comprendre qu'elle désirait connaître mon nom également - « Moi c'est Noah. » - Elle me tendait la main alors je la lui serra, poliment. Elle était pleine d'énergie et arborait un sourire constamment. Ce qui eut l'effet de me faire sourire. Je lâchai sa main afin de reposer les deux autres ouvrages qui resteraient dans leur étagère pour cette fois. Je récupérai mon carton vide, et nous avançâmes doucement vers une table - « Quand vous l'aurez lu, dites moi ce que vous en pensez. C'est toujours constructif d'avoir un avis extérieur. »

La culture restait quelque chose de trop peu présent dans notre monde, oui souvent les gens se contentaient de savoir faire cuire des nouilles et ne cherchaient pas plus loin que le bout de leur nez. Eh bien ils ne savent pas ce qu’ils ratent ! Le savoir n’a jamais fait de mal à personne - sauf peut-être Socrate, mort pour sa pensée politique qui ne convenaient pas aux grecs à l’époque - et j’estimais qu’il y avait un minimum à savoir. Et puis bon sang ! Nous évoluons, aujourd’hui nous pouvons nous permettre de penser librement. L’homme était doué de capacités, à quoi servait-il de ne pas les exploiter ? Sinon retourner à un statut primitif, je ne voyais pas. Quand je vis que la jeune femme à qui je parlais possédait de réelles connaissances en matière de littérature, je ne pu que me ravir - « Vous avez lu tous les livres qui sont dans cette bibliothèque pour les dénicher aussi vite ? En tout cas vous avez fait de très bon choix, je ne regrette pas d'avoir fait appel à vos conseils alors ! Comme vous l'aviez dit. » - Encore une fois, je souris - « Non, mais je passe tellement de temps ici que j’ai mémorisé l’emplacement de chaque livre. » - Je pouffai - « Non, en fait il suffit de connaitre la façon dont-ils sont classés, on s’y retrouve facilement. Je suis ravi de vous avoir aidé. » - En tout cas, nous semblions nous comprendre, et en parlant de Shining nous échangeâmes un dialogue d’experts - « Oui, je suis plongée dans les livres depuis ma plus tendre enfance, un véritable rat de bibliothèque ! » - dit-elle en riant - « C’est clair que ça aide. » - « Je suis des études de littérature et de langues étrangères à l'université. » - Intéressé mon visage s’anima avec curiosité - « Vraiment ? Vous avez de la chance. » - Quand nous déblatérâmes sur Farenheit 451 elle fit - « Non, je n'ose même pas imaginer un monde sans livres, c'est littéralement impossible ! » - J’acquiesçais. Un monde sans livres, je m’imaginais que ce serait un monde barbare et primitif, un monde régnant dans le chaos, agrémenté de souffrance, de malheur et d’idiotie. Ce ne serait vraisemblablement pas un monde dans lequel je pourrais vivre - « Enchantée de même, Noah ! » - s’enchanta-t-elle. Quand nous arrivâmes devant la table et que je lui demandai, une fois qu’elle l’aurait lu, si elle accepterait de me donner son avis Leighton me répondit - « Bien sûr ! Vous êtes souvent ici ? Vous m'avez impressionnée tout à l'heure, je vous l'avoue. C'est rare de rencontrer des gens passionnés de lecture de nos jours ! » - Je la regardai, faisant mine de réfléchir et dis - « Oui, c’est ma deuxième maison. » - murmurais-je comme si c’était une sorte de confession - « Je vous ai impressionné ? Je vous assure, il n’y a pas de quoi. En revanche, vous, vous avez l’air d’en connaitre un rayon. C’est vrai que c’est rare des personnes comme ça, c’est dommage. » - J’entrouvris la bouche, m’apprêtant à poursuivre la conversation quand je sentis quelqu’un débouler derrière moi - « Noah, tu as finis ? Je peux récupérer ma caisse ? Bonjour Leighton. » - Je me retournai, tendant la caisse à la bibliothécaire - « Oui, tiens Annabell. Je … » - Celle-ci me coupa, et à l’adresse de Leighton, elle lança - « Quoi qu’il t’ai raconté, ne le crois pas. Noah est très gentil, mais malheureusement il ne travaille pas chez nous. » - Et elle repartit, exaspérée. Le sourire large, je me penchai vers Leighton en susurrant - « Ne la croyez pas, elle dit ça pour me déstabiliser. Vous croyez que je me risquerais à conseiller les clients si je n’étais pas payé pour ? » - Je ris, amusé de la situation.

« Tout le plaisir est pour moi ! Oui je veux bien vous croire mais il y a tellement de livres ! comment avez vous su ceux qui seraient susceptibles de me plaire ? » - j’esquissai un rictus amusé. En vérité je ne pouvais en aucun cas savoir ce qui lui plairait, comment pourrais-je puisque je ne la connaissais pas. J’avais simplement fais au feeling, et lui avait trouvé des œuvres que moi même j’aimais - tout ça en espérant que ça lui conviendrait. Si tel n’avait pas été le cas, je crois que je serais repartis avec mes bouquins sans essayer de lui trouver autre chose. Je n’estimais en aucun cas que tout le monde devait avoir les mêmes goûts, mais pour moi il y avait de très bons ouvrages et des livres bon public sans intérêt. Si elle avait voulu lire quelque chose de fade et d’inintéressant elle l’aurait trouvé toute seule - « J'ai simplement cherché un livre que j'aimais en espérant qu'il vous plaise. » - Quand je regardais Leighton, je voyais comme une étincelle, un lueur vive dans son regard : celle de la passion - elle semblait littéralement passionnée par la littérature, elle aussi, et c’est quelque chose que j’appréciais - « Je suis juste curieuse ! » - confia-t-elle en souriant - « Je n'aime pas beaucoup les cours, je n'ai jamais été douée pour cela mais la littérature ça me passionne et je m'intéresse à l'actualité. » - Curieuse elle le semblait, en effet - « Oui, la curiosité doit être un atout au vu de vos études. » - Je me demandais comment se serait passée ma vie si au lieu d’être incarcéré à 17 ans, j’avais poursuivis mes études. Serais-je allé à la fac ? Et si oui, quelle spécialité aurais-je choisis ? Certainement la littérature. Quoi qu’à l ‘époque je n’étais pas si passionné que ça par les écrits de tous ces auteurs, j’avais développé cette passion durant les trois ans que j’avais passé enfermé car je n’avais rien à faire d’autre - et c’était aussi ce qui m’avais permis de ne pas sombrer.

***

Quand l’ouragan Annabell fut passé, Leighton me demanda - « Pourquoi seriez vous déstabilisé ? elle a raison vous êtes adorable ! Je ne vois pas pourquoi il en serait autrement... » - Je la regardai, surpris - « C’est gentil. » - Et elle reprit de si belle - « Quoi qu'il en soit... parlez moi un peu de vous ! Je croyais que vous travailliez ici et Annabell vient de dire qu'elle regrettait que non... ! Je bavarde trop, je monopolise la conversation... et je vous en prie, vous pouvez me tutoyer ! » - Je ris - « J’ignorais qu’il était possible de dire autant de mots en si peu de temps. Mais Annabell a raison, je ne travaille pas ici. Mais - sans me vanter - je connais la bibliothèque comme ma poche et je voulais absolument vous faire lire un ouvrage que j’apprécie. Perceval est à la quête du Graal, ce que moi je suis à la quête de gens cultivés. » - Dans le genre réplique qui tue, j’avais fait fort - « Mais oui, tutoyons nous. »

« Je suis désolée, je suis un véritable moulin à paroles. Oui, il me semble déjà vous avoir vu traîner ici il y a quelques temps. » - Un véritable moulin à paroles. Ah ça oui. Leighton parlait beaucoup, elle semblait spontanée et insouciante. Elle n’avait pas peur de se livrer, et elle était comme un livre ouvert. J’ignorais comment elle faisait, elle avait l’air d’avoir cette confiance si profonde en l’humanité, une confiance aveugle. Pour moi, l’homme était un amas de souffrance, d’égoïsme et de désarrois. L’humanité était constituée tel un mal animé par la douleur en permanence, un mal qui avait le besoin de guérir et qui s’efforçait de le faire par les vices. Peu d’hommes plaidaient la loyauté, la générosité, la spiritualité. Ils préféraient l’argent, le sexe et la trahison. Et la confiance que la jeune femme avait en l’être humain me troublait. Elle se livrait à un inconnu, à un meurtrier, elle ne savait pas à qui elle avait affaire. Mais c’est quelque chose, qui d’une certaine façon, n’était pas désagréable - « Oui, je suis trop souvent ici. » - Leighton avait un sourire léger, en fait elle prenait la vie avec légèreté, c’était une jeune femme rafraîchissante. Elle éclipsait la mélancolie du monde, et ça, avec un simple sourire - « As-tu un auteur favoris ? Un livre que tu pourrais relire en boucle ? » - dit-elle, en me tutoyant - « Oui. » - Je la dévisageais, souriant - « Charles Baudelaire. J’ai dû lire les fleurs du mal quelques centaines de fois. » - Cet homme représentait beaucoup pour moi, il m’avait donner une direction vers laquelle avancer, et j’aimais dire qu’il était mon père spirituel. Sa poésie m’apprenait, à chaque relecture, quelque chose de nouveau - « Sinon, tu fais quoi dans la vie, sans indiscrétions ? » - demanda Leighton, avec curiosité certaine. Le ‘sans indiscrétions’ me fit rire. La jeune femme, dans ses mimiques, dans les mots qu’elle employait et dans toute sa façon d’être était amusante, divertissante - « Je suis un poète maudit. » - Je lui souris - « Non, je suis livreur de journaux. » - Je n’étais ni avocat, ni flic, ni écrivain - rien d’attrayant. Mais pourtant, j’aimais ce que je faisais. J’aimais récupérer les tirages tout neuf du Wellington post, et les livrer aux habitants, de bon matin. C’était toujours agréable, sentir les premiers rayons de soleil sur ma peau, passer pendant que la ville dort encore, dans un calme apaisant. Mon boulot m’épanouissait, et je me contrefichais que les gens pensent qu’il soit inutile ou dégradant car ce n’était pas mon avis - « Et toi, tu es en quelle année à la fac ? » - Pendant que je discutais avec la jeune femme, j’eus le réflexe - inconscient - de prendre le bouquin qui reposait sur la table, de l’ouvrir et de sentir l’odeur du papier. Après tout, je crois que c’est ça que j’aime. Car après avoir parcouru le papier moisi de ma cellule pendant trois ans, j’ai enfin pu gouter au délice du papier littéraire, du papier-presse, et quelle senteur divine.

« J'avoue que ce n'est pas mon préféré mais ses écrits sont remarquables ! » - Remarquables, oui. J'acquiesçai donc d'un signe de tête. A chaque fois que je prononçais son nom, mes yeux s'illuminaient. L'auteur me passionnait à un point que je n'aurais jamais imaginé auparavant. Puis Leighton en vînt à me poser des questions plus personnelles, mais sa curiosité m'amusait plus qu'autre chose. En fait, même si je n'aimais pas parler de moi, cela ne me dérangeait pas plus que ça quand cela ne concernait pas mon passé. Et je sentais bien que Leighton n'avait pas d'idée mal placée derrière la tête, c'était dans sa nature de se montrer curieuse - « Livreur de journaux? Donc c'est toi qui postes le Wellington post dans ma boîte aux lettres au petit matin ?! » - la jeune femme sourit, semblant amusée - « La prochaine fois que tu passes, la porte est ouverte ! Tu viendras boire un petit café ! » - Je pouffai - « Oui, enfin je ne suis pas seul. Wellington est une grande ville. Mais si je te vois un matin, je prendrais ce café avec plaisir. Tant que ça ne ralentit pas trop ma tournée. » - Je souris amicalement - « En tout cas, tu as du courage ! » - Du courage, selon moi il en fallait pour tout les métiers. Puis elle répondit à mon interrogation, je lui avais demandé en quelle année était-elle à l'université - « Je suis en deuxième année, j'ai vingt-deux ans. » - La miss avait deux ans de moins que moi, d'après ses dires. Elle me sourit, cette fois-ci légèrement gênée. Pourtant il n'y avait pas de quoi. Elle passa une main dans ses cheveux - « Et toi, tu as quel âge ? Je suis désolée d'être si... indiscrète mais j'aime bien apprendre à connaître les personnes avec qui je parle. » - Je souris, compréhensif - « Ne t'en fais pas, je n'ai pas honte de mon âge. J'ai vingt-quatre ans. C'est raisonnable tu ne crois pas ? » - Je ris doucement - « Je dis ça parce que tu sembles... te refermer sur toi-même, tu me fais penser à l'une de mes soeurs ! » - Je baissai le regard, elle avait vu juste, mais je préférais ne pas en dire trop, je n'aimais pas parler de moi, j'étais comme ça - « Je n'aime pas trop m'étendre. Il y a des choses beaucoup plus intéressantes que ma personne. » - Et j'avais toujours peu de dire quelque chose qui pourrait me trahir, en dire trop, dévoiler mon passé que je n'aimais pas évoquer. A la fois car la réaction des gens face face à un ex-taulard est souvent exagérée, brusque et inattendue. Mais aussi car parler de mon passé faisait remonter des souvenirs trop douloureux. Cela me rappelait que même dans la misère la plus totale, les personnes qui m'avaient été les plus proches ne m'avaient pas une seule fois tendu la main. C'était ça, le plus douloureux.

« Je te promets que je ne serais pas trop bavarde alors ! mais je te dis, si tu passes par chez moi, à Store Lane, n'hésite pas à sonner. Je suis en collocation mais ça ne dérangera pas Charlie si on fait pas trop de bruit. » - Un sourire vint se nicher sur mon visage, Leighton n'avait aucune réserve, elle parlait de tout, me disait ou elle vivait, citait le nom de personnes que je ne connaissais pas - « C'est d'accord. Store Lane, noté. » - fis-je, agrémentant mes paroles d'un clin d'oeil. Qu''aurait-t-elle fait si j'avais été un tueur psychopathe ? Elle m'aurait sûrement donné son adresse de la même façon, et quelque part, je ne sais pas pourquoi, mais je m'inquiéta pour elle. Pas sur le moment, mais dans la vie de tous les jours : à se livrer autant elle finirait par se faire avoir, et se perdre elle-même. Puis comme à son habitude la conversation dériva sur un sujet qui n'avait rien à voir - « Vingt-quatre ans ?! Je vais être franche avec toi, je te pensais un peu plus vieux tu vois mais comme on dit, les apparences sont souvent trompeuses ! » - Je pouffai. Oui, on me le disait souvent, mais jamais avec aussi peu de tact. Cela m'amusa. Je paraissais plus vieux, et c'était sans doute les années de prison qui m'avaient vieilli. Je ne sais pas - « Et moi j'ai tendance à trop m'étendre sur ma vie alors que c'est censé ne regarder personne mais je suis trop bavarde. Une fois lancée je ne peux plus m'arrêter, c'est comme quand je lis un livre. Mais pourquoi tant de mystère ? Tu sais, si tu as un problème et que tu voudrais en parler, je suis là, hein. Rien ne me regarde mais si jamais tu as besoin de te confier à quelqu'un, je sais quand même garder un secret... Enfin, je dis ça, c'est comme tu le sens . Je n'oblige personne. » - Et là, je ne pu me retenir, c'était au dessus de mes forces : j'éclatai de rire. Un rire léger cependant, mais qui me fit un bien fou. Ne savait-elle donc pas s'arrêter ? Elle enchaînait les mots à une vitesse impressionnante - « Excuse-moi, c'est que tu parles, tu parles et t'en oublies presque de respirer. » - Je repris mon sérieux, gardant toujours un sourire en coin - « Et n'hésites pas, si tu as besoin d'un peu d'oxygène un jour, je suis là. » - dis-je légèrement moqueur, sur le même ton qu'elle avait employé quelques minutes auparavant. Comme j'aurais du m'y attendre, elle passa à un autre sujet de conversation. Incroyable, c'était un don : la façon dont elle passait du coq à l'âne, parlant de tout, et de rien - « Tu crois au surnaturel toi ? » - Je la fixai, entrouvrant la bouche et fronçant les sourcils, ne sachant pas vraiment quoi répondre. Je ne croyait pas tellement au surnaturel, avant. Mais depuis que j'avais brûlé ma cuisine de mes propres mains, j'avais quelques doutes tout de même - « Hum, et bien ... j'en sais rien. Mais dans les livres, le surnaturel est passionnant ! » - Puis quelqu'un vint couper court à notre discussion : Annabell. Enfin elle nous fit comprendre qu'elle allait fermer. J'acquiesçais d'un signe de tête - « Je crois qu'Annabell va fermer. » - Je me levai et pris ma veste - « Je fus absolument ravi de faire ta connaissance, Leighton. » - Je lui souris - « N'oublies pas de me dire ce que tu penses du bouquin. » - Ainsi, tout deux, nous nous dirigeâmes vers la porte, lentement mais sûrement.