On commence par la fin.

Je courais haletant à la recherche de mon équipement. Dehors c'était l'hécatombe, un vrai massacre. C'était tout sauf le scénario auquel on s'était préparés. On ne s'était certainement pas préparés à un tel nombre de mort . Ni à ce qu'il y aurait eu après.

Ma journée avait pourtant si bien commencée du moins relativement. A cette époque - qui désormais me semble si lointaine- j'étais secouriste. Je vivais en aidant les gens avec ce sentiment profond de réelle utilité. Je me sentais intéressant et j'étais intéressé. Bien plus encore : du genre très passionné.

J'avais une raison d'exister. Une vraie raison. Et maintenant ,hein ? Qu'est-ce que j'ai ?

Nous étions déboussolés , effrayés et complétement à la ramasse. Nous n'avions jamais vu pareille pagaille. Ni pareilles blessures.
Surchargés et incompétents. Il faut bien dire ce qu'il en était nous n'étions pas médecins : juste infirmiers. Nous n'étions capable de rien mais nous avions le courage de tout nier. Nier cette peur qui nous capturait. Cette envie d'y échapper . Mes amis et moi , mes collègues et moi. Un bruit. Un silence suivit par une explosion. Un battement , le temps d'une diastole et il ne restait plus que moi. Moi et moi seul : au milieu des débris.

Le front tuméfié , le corps engourdis. Cette substance verte me recouvrant. Le regard ailleurs, je crois que je pensais. J'étais habité par l'envie de résister . L'envie de combattre , l'envie de respirer. J'avais pourtant du mal à inspirer , du mal à expirer ... je sentais déjà deux ou trois côtes cassées. Deux ou trois côtes, avec le recul ça n'était rien comparé aux corps inertes qui m'entouraient. Alors je criais à l'aide mais personne, personne ne répondait. Absolument rien. Cette ambulance renversée. Ce cratère devant moi. Ces plaies qui me brulaient les bras. J'étais lacéré. Mais en vie. C'était ça le plus important.

Je tentais de sauver le maximum de personne. Du moins, leur apporter les premiers soins en attendant qu'ils soient mis entre les mains de véritables médecins.J'en ai vu des malheureux.J'étais l'un d'entre eux.

-Monsieur Wayland ?
-Oui Brighton , qu'y a t-il ?
-Des mercenaires ont investis vos propriétés près de Nyala.
-J'ose espérer que les mesures nécessaires ont déjà été prises?
-Il en va de soi Monsieur .
-Bien.Préparez donc le jet , je m'en vais de ce pas inspecter les lieux!

Désormais, je mène une toute autre vie.Une vie sans limite. Puisque c'est moi qui les fixes. Comme je n'en ai aucune : je vous laisse imaginer.

On revient au début

Mes parents.
Deux aristocrates anglais.
Deux âmes , deux redoutables personnes. Un homme , une femme. Deux assassins. Deux damnés. Deux égoïstes voués à leur travail. A leur maudite société : Wayland Inc.
Multinationale, multimillionnaires. Multiprétencieux. Multi-incapables.

Rien d'autre. Je n'ai pas eu la chance de vivre avec eux puisque tout petit j'ai été écarté. Sauvé d'après leur dire.
Abandonné, d'après les miens.
En faite: je m'en fiche royalement !
Alors pourquoi je vous en parle ?

Probablement parce qu'ils sont décédés lors de cette maudite journée. Peut être parce qu'à cause d'eux je me ballade avec un poids sur les épaules. Peut être parce que je n'ai pas eu le temps de leur dire qu'en dépit de tout : je les aimais. On peut choisir ses amis mais la famille ça ne se refait pas. J'ai appris à vivre avec.

-Monsieur Wayland ?
-Oui Charlie ?
-Voyons Jude, reposez-vous.
-Cesses donc de jouer .Pourquoi es-tu là ?
-J'ai croisé ton frère au cinquième étage, il cherchait où tu étais !
-Tu aurais pu commencer par ça.Évidement , tu préfères instaurer le suspense. Fais-le entrer !
-Qui te fais croire que je l'ai mené jusqu'ici ?
-Ça n'est pas le cas ?
-Non, c'était si amusant de le voir chercher Charlie.Il faut lui dire qu'ici Charlie c'est moi et que je ne porte ni lunette ni ridicule t-shirt rayé !
-Charlie...fais le venir : immédiatement.
-Mais...
-Charlie , c'est mon frère alors ne discutes pas.

Charlie & moi. Charlie c'est moi. Mon double. Mon âme sœur. Elle devine ce que je veux. Elle fait tout ce que je veux. Tout. Si bien qu'elle m'est totalement dévouée.Corps et âme. Je ne l'aime pas. Et honnêtement , je ne sais pas pourquoi je l'ais pris comme bras droit. Son amour est bien à sens unique. De toute manière je ne suis plus sûre d'avoir un cœur.

Père, Mère.
Leur hélicoptère s'était écrasé alors qu'ils se rendaient à un énième gala de charité. Une couverture car ils avaient pour habitude de jouer les doubles faces. Construire des bulding dans des emplacements reculés. Assécher des rivières pour leur compte bancaire. Et faire croire au monde qu'ils n'y étaient pour rien. Ils y étaient toujours pour quelque chose et si ce n'était pas eux: c'était leur homme de main. C'est parce que j'étais convaincu de leur culpabilité que je décidais de couper les ponts. Clore un débat qui n'avait lieu d'être. Mes parents et moi étions beaucoup trop proche dans nos différences. C'était bien ça: le vrai problème.

...de vérité.

Il s'appelait Jezebel Eric Wayland. Il était plus jeune, plus naif...
En y repensant, j'aurai du m'en douter. Les menaces auraient un jour ou l'autre été mises à exécutions. " N'accorde aucun crédit aux lettres ni même aux paroles de haines , ce ne sont que des vociférations sans réels fondements " , ça n'était que des " paroles " d'après mon conseiller. " Respire Jude franchement , tu crois qu'ils auront les couilles de s'en prendre à un Wayland ? On parle pas du petit Jésus ! " ..." pas de couilles " d'après Charlie..." Des foutaises " selon moi , et pourtant. Ils l'ont eu. Une seule balle, entre deux yeux. Comme si une cible y avait été dessinée. Une cible. C'est bien cela. Une cible que je décidais d'ignorer mais elle était bien là. En gros sur son front. Ils ont fait bang bang. BANG BANG.BAM : il est tombé. Raide. J'étais de nouveau seul au monde.

On dit que la vengeance est un moteur.Pour moi c'est un carburant.Je me lève tout les jours avec pour seul objectif: mettre la main sur les monstres qui l'ont assassiné. Mon frère était bien trop jeune pour pousser son dernier soupire, trop jeune pour ne plus pouvoir sourire. Il n'avait que dix-neuf ans. Dix-neuf printemps , il allait sur sa 20 ème bougie. Dommage, elle ne pourra jamais être soufflée.

" Ne t'inquiètes pas frangin , je vais jouer mon rôle de frère . Regardes bien de là où tu es : ils vont saigner.Crier. Pleurer. Supplier. Je n'aurai de cesse de les traquer. "

Alors oui, j'ai changé. J'ai préféré arrêté d'être trop gentil. Quand on est trop gentil : on se fait avoir. Quand on est trop gentil : on se fait tué. Je ne veux plus être gentil , du moins , pas avant d'être soulagé.

- Jude ?
-Quoi ???
-Je suis désolée
-T'étais pas censée être au moyen orient ?!
-J'ai pensé ...
-Ne pense pas.

La pluie tombait. En harmonie avec les pleurs. J'aurai voulu ...Et si ? Et si ?