Je soufflai. Une dure soirée s'annonçait au Shadow, enfin il n'y aurait pas plus de monde que d'habitude, mais chaque service était pour moi assez compliqué. Enfin je m'en sortais, mais j'appréhendais à chaque fois de devoir m'adresser aux clients. J'étais comme ça, chaque mot, chaque geste, chaque contact était important à mes yeux. Je redoutais toujours d'aller vers les gens, car je ne connaissais pas ces personnes et cela m'effrayait. Si j'avais pu m'enfermer seule dans une pièce relativement fermée, ou encore dans un coin de nature reculé ou seul les oiseaux viendraient me troubler, même toute ma vie, je l'aurais fait. Je détestais être confrontée aux autres. Mais j'avais besoin de gagner ma vie, et puis un peu de défi était nécessaire, je suppose. Voilà pourquoi, ce soir, je travaillais comme serveuse au Shadow. Comme tous les soirs de la semaine, et tous les soirs c'était le même cinéma dans ma tête - « Allie ! Occupes-toi de la table 6 au lieu de rêvasser. » - fit le serveur en chef, le type qui s'occupait de distribuer les tables, d'envoyer les serveurs, de nous botter le cul en somme. Un glandeur quoi. Je pris mon inspiration, et me dirigeai vers les clients munie de mon carnet de commande - « Non, Allie ... la table 7 j'ai dis ... » - « Mais Ryan tu m'as dis la tabl'... » - « Table 7 bordel, discutes pas. » - me coupa-t-il. Bouffon. J'avais pas rêvé, il m'avait dit la table 6 hein ? Ryan, ce sale type abusait de son pouvoir pour faire sa dictature auprès des autres serveurs. Si j'en parlais à Damon Humphrey, peut-être que Ryan changerait de ton ... Ouais devant le patron il ferait moins le malin ... sauf que jamais j'aurais eu le courage d'aller voir le dirigeant du Shadow. Bon et puis qu'est-ce qu'il en avait à foutre des histoires du personnel aussi ? Rien, c'était pas son problème. Bref, au bout de deux heures, l'afflux des clients se fit moins important, alors je décidai de prendre ma pause. Je déposai ma veste de service, mon carnet de commande et mon plateau dans l'arrière bar, réservé au personnel et partis en direction des toilettes après avoir saisis mon sac à main.

J'entrai donc dans les toilettes des dames, un peu en trombe, il faut le dire. Mais bon, j'avais quoi, vingt minutes avant que Ryan ducon remarque mon absence, alors je ne traînais pas. Je fermai la porte derrière moi, espérant que personne ne rentre. Je vérifiai les cabines : personne, ouf. Je posai mon sac sur le lavabo et jetai un oeil à mon visage pomponné mais en sueur, et me lavai les mains en me passant de l'eau sur le visage. Une fois mes paumes sèches, j'ouvris mon sac et me mis à fouiller à l'intérieur - « Bordel, allez, elle est ou cette putain de seringue ? » - Oui bon, d'ordinaire je ne parlais pas vraiment comme ça, je n'étais pas quelqu'un de vulgaire, mais là c'était autre chose : j'étais en manque. Pour faire court : je me droguais régulièrement à la morphine. C'était ce qui me faisait tenir, ce qui m'empêchait de devenir complètement folle et paniquée. Parce que sans ça, je redevenais la fille instable, soumise aux autres, démunie. Quand je ne prenais pas ma dose, j'étais prise à des crises intenses, ma tête semblait exploser et ça parce que j'avais ce 'don' – si on pouvait appeler ça un don – et que je ressentais ce que tous ressentaient, que des centaines de voix hurlaient dans ma tête en même temps et que je croyais devenir barge. Oui, en gros, c'était pour éviter ça que je me droguais à la morphine. Trouvant enfin la seringue, je la sortis de mon sac, la déposai sur le lavabo. Je relevai ma manche gauche au dessus du coude et saisis un élastique. Je fis alors un garrot encerclant mon bras à l'aide de cet élastique et le serra du mieux que je pouvais. De l'autre main je m'emparai de la seringue de morphine, et après une courte inspiration la plantai dans ma veine. J'appuyai contre celle-ci déversant la drogue dans mon système sanguin. Les paupières closes, je soufflai, rassurée d'avoir pu avoir ma dose à temps. Cela faisait un bien fou, je me sentais déjà mieux. La drogue faisait son effet, comme je l'avais prévu, comme elle le faisait à chaque fois. Une fois la totalité de la seringue déversé dans ma veine, je retirai délicatement celle-ci et commençai à la rincer au robinet ...

Aujourd’hui il faisait beaux. Les oiseaux chantaient... Enfin c’était sûrement une vision disneyrisée des choses mais peu importe. J’avais d’excellente humeur sans vraiment savoir pourquoi. Je n’avais pas de soucis en plus. Mais aujourd’hui je n’avais pas envi de me prendre la tête. Juste d’être tranquille et de profiter de ce temps radieux. Je ne m’étais pas levée trop tard. Histoire de profiter d’une bonne journée de soldes. Dehors la chaleur était assez forte. C’est souvent le cas à Wellington en été. La température grimpait très vite. Mais on s’y habitue. Même si je ne m’y étais jamais trop habituée pour ma part. Avoir la peau blanche et qui ne bronzée pas facilement ce n’était pas évident tout les jours. Il fallait prévoir le tube de crème. Enfin bon. J’aimais tout de même le soleil. Peut-être pas plus que la pluie. Je ne savais pas en faite.

Je m’étais donc lavée. Une bonne douche friche il y a rien de mieux. Puis je n’étais habillée léger. Je ne voulais pas avoir trop chaud pendant cette journée. Une simple robe bleu et resserrée en haut et un peu volante en bas ferait bien l’affaire. J’attachais mes cheveux avec une queue de cheval haute. Je ne voulais pas être embêté par ma longue chevelure brune. Un peu de maquillage pour être jolie et j’étais prête. Il devait être environ 11heures. C’était parfait.

Je pris ma voiture. Enfin c’était vraiment la mienne. Disons que c’était un près de ma mère. Elle en avait une pour son travail.. Qu’on lui prêtait du coup la sienne elle ne la prenait jamais. Et comme j’avais le permis depuis 16 ans elle m’autorisait à la prendre. Elle était plutôt mignonne. Une petite coccinelle décapotable couleur crème.

Je fus vite arrivée au centre ville. Je me garais dans un parking sous terrain pour éviter la chaleur dans la voiture à mon retour. Je la verrouillais avant de me lancer dans des soldes interminables. J’étais une fan de mode. J’aime plutôt ça. Et ma garde robe était pleine à craquer. Mais je continuais d’acheter. Même si je ne mettais pas tout. Au moins j’avais de quoi m’habillé pour toute une vie. C’était déjà ça. Je fis toutes les boutiques de centre. Je mangeais un sandwich pour ne pas perdre de temps. J’avais les bras chargés de sacs plastiques bourrés eux même de robe, chaussures, cosmétiques, bijoux et fanfreluches. Dans l’après midi je décidais de boire un verre. Pas seulement pour boire. Mais surtout pour faire une pause toilettes. Et il fallait consommer pour utiliser les toilettes. Je commandais un jus de mangue. Et le temps que le serveur me le serve je partis aux toilettes.

Il y avait une fille. Une serveuse vu son tablier autour de sa taille. Elle avait l’air d’en avoir marre. Je ne fis pas attention à elle. Je me refermais dans les toilettes pour y faire ce dont j’avais besoin. Lorsque je ressortis je la vis avec une seringue. Mon premier réflexe fut de lui retirer des mains. Je ne la connaissais absolument pas. Mais ce qu’elle faisait été loin d’être bien pour sa santé. Elle pouvait faire des overdose à chaque fois qu’elle se piquait et en mourir. Ce qui n’était pas gaie.

-Je crois que tu devrais pas faire ça.. Déjà tu ne pourris la santé et après tu risques de perdre ton boulot si tu es choutée.

Ok pour qui je me prenais.. Moi-même je ne savais pas pourquoi je disais tout ça. Mais elle avait l’air d’avoir besoin d’aide et pourquoi pas de la mienne.

Quand j'étais entrée dans les toilettes du Shadow, que j'avais vérifié toutes les cabines, que nerveuse je m'étais nettoyé le visage, je n'avais pas prêté attention à cette fille qui s'était dirigée vers les toilettes. Quand je n'étais pas sous l'emprise de la morphine, j'étais instable, nerveuse, mal dans ma peau. Dans ces moments là, bien que j'essayais toujours de prendre ma dose à temps, mon pouvoir se manifestait, rien qu'un peu, mais il se manifestait. Car en attendant la nouvelle dose, mon organisme évacuait l'ancienne. C'était plutôt flou dans ma tête, les voix commençaient à affluer, encore lointaines. Mes émotions s'embrouillaient, l'empathie prenait le dessus sur moi, et je commençais à ressentir la colère, la joie, la rancœur, l'amour, l'excitation, la pression, le désir, la peur. Tous ses sentiments qui constituaient l'être humain, tous ces sentiments qui bouillonnaient en chaque homme présent au Shadow. Ce n'était qu'un souffle, une fumée poussiéreuse au loin, qui m'avertissait de ce qui m'attendait. Et je savais que je ne devais pas être faible, que je devais tenir jusqu'à ce que je puisse tout arrêter, avant de céder à la panique. Des voix, des murmures incessants, des sensations et des ressentis. Et aucun d'eux ne m'appartenaient réellement, car mes propres émotions étaient enfouies sous cet amas, elles étaient trop faibles et impuissantes pour les dominer, pour s'extirper de cet autre étranger. L'empathie me faisait perdre le contrôle, elle me faisait perdre les pédales.

Et puis STOP. Plus rien, retour à la normale. Retour au calme. Je retrouvai le contrôle de mon être, mes pensées redevinrent claires. Le brouhaha s'était tût. Silence plat dans ma tête. J'étais rassurée, j'étais plus forte, plus sûre de moi, je me sentais bien. Je soufflai. La dose avait été injectée à temps. Je lavais désormais la seringue utilisée à l'eau, tentant d'éliminer les microbes invisibles. Puis, alors que je ne m'y attendais pas, un bruit résonna dans mon dos, me faisant frémir au passage. Une porte claqua et la fille que j'avais ignoré débarqua dans un état d'affolement total. Elle avait les yeux rivés sur ma seringue, et me la retira des mains. Mes membres se crispèrent. De quel droit venait-elle me prendre ce qui m'appartenait ? - « Je crois que tu devrais pas faire ça.. Déjà tu te pourris la santé et après tu risques de perdre ton boulot si tu es shootée. » - je la dévisageai, stoïque. Je lui souris, pas de bon cœur, c'était un sourire peu franc, un sourire un peu hypocrite, ou plutôt un sourire nerveux - « Hey ! Qu'est-ce que tu fous ! Sérieux, joues pas avec ça ... rends-la moi .. s'il-te-plaît ... » - Un peu hésitante, je tendis la main vers la jeune femme, mais celle-ci éloigna d'un geste brusque l'objet que je désirais. De quoi se mêlait-elle ? Pourquoi s'occuper de ce que je faisais et ne pas passer son chemin ? - « Écoutes, je ... j'ai pas le temps de jouer là ... je t'en pries, je dois reprendre mon service dans dix minutes ... » - Elle ne semblait pas céder. J'étais pour ma part, de plus en plus nerveuse, gesticulant sur mes deux jambes, machinalement je me passai la main dans la nuque - « ... » - je jetai des regards autour de nous, priant pour que personne n'entre - « ... merde allez, c'est pas tes affaires ... j'en ai besoin ... » - Je n'étais pas en manque, je venais de prendre la morphine qui me faisait tenir, mais j'avais besoin de cette seringue pour mes prochaines injections. C'était vital à mes yeux.