17h00 ▬ Les habitudes. Chose auquel personne n’échappait. Quand j’étais en prison c’était tous les jours la même chose. Le repas à telle heure, l’appel, la douche, le repas, l’appel, le moment de se coucher. Tous les jours se ressemblaient et c’était d’un ennui mortel. Les jours en prison vous paraissent si longs que la moindre distraction est à prendre avec attention, et ça pouvait vite dégénérer. Chaque jour paraissait identique, et dans ces conditions que faire à part se regarder moisir dans son trou ? A ma sortie je voulais effacer tout ça de ma vie, reprendre un rythme oui, mais faire des choses nouvelles à chaque fois que j’en avais l’occasion. Mais les habitudes rassurent, elles nous font nous sentir chez nous et permettent un certain confort. Et c’était pour ça que même moi je n’avais pas échappé à la règle. Alors tous les jours, j’avais mon petit rituel : tous les jours, aux environs de 17 heures, je me rendais à Fourth Park, simplement pour lire et profiter du plein air. Et ce jour n’échappa pas à ce système , j’arrivai donc, comme à mon habitude, dans le fameux parc de Wellington, bouquin à la main. J’avais même un banc attitré, enfin je ne sais pas, je l’aimais bien ce banc. Il y avait à la fois de l’ombre et du soleil, le bois sentait bon et sa courbure était confortable. Oui, les choses futiles ont leur importance. Alors je m’assis et après avoir dévisagé la nature qui m’entourait, je me mis à feuilleter le livre que j’avais entre les mains, afin de retrouver la page où je m’étais arrêté. Pour une fois, je ne lisais pas Baudelaire, mais j’aimais lire autre chose de temps en temps. Cette fois-ci, c’était du Kafka, un chef-d’œuvre : Le procès, ou l’histoire d’un innocent arrêté par une justice absurde. J’aimais énormément la façon dont écrivait l’auteur, et l’histoire me touchait, d’un certain coté. Je repris ma lecture, sous la brise agréable de cette fin d’après-midi. Quelques instant plus tard, j’entrevis une silhouette s’assoir non loin, lui jetant un regard furtif, je continuai de parcourir les lignes splendides de Franz Kafka - « Inquiétant … » - dit la personne qui venait de s’installer là. Je décrochai le regard de mon livre, et l’écoutai poursuivre - « l'effet que les femmes peuvent avoir sur nous … » - Je lui lançai un regard inquisiteur, ne m’attendant pas à parler à qui que ce soit ce soir. L’homme ajouta - « c'est ma petite amie qui m'oblige à le lire, même qu'il faut que je lui en fasse un résumé... histoire de lui prouver ma bonne foi. » - Je souris. Cet homme n’avait en effet pas tellement l’air du genre de personne à aimer lire, et je pouvais le deviner facilement : il tenait son bouquin à l’envers. Ce qui eut le don de m’amuser - « Votre petite amie a bon goût. Shakespeare est un excellent auteur, et cette œuvre-ci est passionnante. Vous devriez le lire, vraiment. »

Je vis l’homme retourner son livre, avec tout le ridicule que la situation offrait. Je n’étais pas du genre à me trouver supérieur parce que je lisais beaucoup, non, et c’est pour ça que mon sourire amusé n’avait rien de prétentieux. En vérité ce type m’amusait plus qu’autre chose. Alors que je reportai mon regard sur les mots de l’incroyable Kafka - Tu vois ça, Willem, dit-il, il reconnaît qu'il ignore la loi, et il affirme en même temps qu'il n'est pas coupable ! - le type à coté éclata de rire, ce qui me surprit et j’en lâchai mon livre. Entre deux fous rires, il s’exclama - « Pardonnez-moi, j'pense pas vraiment avoir le courage de lire ce pavé. » - Je le dévisageai, incrédule, et souris finalement largement - « Je comprends ce que vous voulez dire, quand je prends l’annuaire, ça me fait le même effet. » - dis-je, taquin. L’homme qui se tenait désormais à quelque centimètres de moi fut pris d’un élan de confession - « Et la votre, elle est comme ça ? La mienne en tout cas est assez enquiquinante dans son genre. Elle a de la poigne, j'ai du mal à lui refuser quoique ce soit. » - Un fin sourire se nicha sur mes lèvres - « La mienne est dix fois pire, elle s’appelle Littérature. »

Cet homme avait son charme. Je veux dire pas au sens charnel du terme, car je préférais largement les femmes. Mais il dégageait quelque chose. Son aura était attachante. Je ne connaissais pas ce type, et pourtant la peine qu’il m’inspirait, avec son livre à l’envers, l’affection qu’il montrait pour sa copine et son allure imposante, était sincère - « Ah, les femmes, quelle emprise elles ont sur nous. » - Je ne savais pas ce que lui pensais de tout ça : être forcé à lire par une femme. Mais moi, je voyais ça comme une preuve d’amour. Celle qui partageait sa vie, désirait à la fois lui faire partager les choses qu’elle aimait, mais également lui faire comprendre des choses desquelles il aurait pu passer à coté. Faire lire un livre à la personne qu’on aime, selon moi, est bien plus affectueux que lui offrir des fleurs. Je pense que cela marche avec n’importe quel amour. Moi par exemple, j’aurais aimé que mon père me fasse lire, mais au lieu de ça, il m’a laisser croupir en prison. Quel con.

To the right, to the left
We will fight to the death
To the Edge of the Earth
It's a brave new world from the last to the first

« C'est minable quand on y pense , je veux dire : d'en dépendre autant. En même temps : sans elles que serions-nous ? » - Je le dévisageai. Dans le timbre de sa voix, résonnait quelque chose qui inspirait confiance. Le temps ou nous, les hommes étions la structure familiale, était révolu. Oui, désormais les femmes ne comptaient plus sur nous, et même si l'égalité des sexes était primordiale, il résidait une sorte de frustration en chaque homme – je suppose – de ne plus être la seule personne sur qui une femme peut compter. Les hommes ont parfois l'impression de ne plus servir à grand chose, voilà pourquoi l'on en retrouvait certains affalés dans leur canapé, bière à la main, attendant la mort devant un misérable match de foot. Fort heureusement, ce n'était pas mon cas. J'avais trouvé un horizon à ma vie, quelque chose qui me faisait avancé, la littérature. La véritable femme de ma vie. Il m'arrivait de flirter avec le sexe opposé, mais cela n'allait jamais plus loin. Je n'avais pas de petite amie, et cela ne me dérangeait pas. Mais c'est vrai, que parfois, se sentir utile aux yeux d'une autre personne, peut être un bienfait. Mais j'ai sans doute été trop délaissé par les gens de mon entourage, auparavant, qu'il m'est désormais difficile d'accorder une confiance suffisante en l'être humain, de me livrer sans limite à une autre personne – car mon passé même derrière moi, me rattrapera toujours. La voix de mon voisin me tira de mes pensées - « J'arrête de vous flouer : je suis flic Noah mais je ne suis pas là pour vous arrêter ou quoique ce soit. » - J'en lâchai mon livre. Quelque chose se brisa en moi, mes lèvres tressaillirent et mon sourire se dissipa. Flic, ce type était flic. Et moi j'étais un meurtrier, et j'avais purgé ma peine. Alors pourquoi la justice revenait vers moi ? Je n'avais plus rien à faire avec eux. Quoi que je fasse, ou que j'aille, ce que j'avais fait me poursuivrait toujours. Pourtant j'avais été arrêté en Arizona, alors comment mon dossier avait-il pu parvenir entre les mains de ce flic du Kansas ? Pourquoi en aurait-il prit connaissance ? - « Quoi ? Comment vous connaissez mon nom ? Vous avez lu mon dossier ... » - Et une dernière question me tarauda l'esprit : comment connaissait-il mon nom ? S'il le connaissait, c'est qu'il avait lu mon dossier, c'était certain. Il savait tout mais j'avais bel et bien purgé ma peine, donc pourquoi venir me chercher des années après ? - « J'ai besoin de vous. » - Besoin de moi ? BORDEL POURQUOI UN FLIC VENAIT ME CHERCHER A FOURTH PARK. Cette affaire me poursuivrait-elle toute ma vie ? - « Non. C'est hors de question. Je me fiche de la raison pour laquelle vous avez besoin de mon aide. Je ne veux plus rien avoir à faire avec la police. » - Sous le coup de l'énervement je me levai. Il m'avait bien eu le salaud. Avait-il vraiment une copine, devait-il vraiment lire ce bouquin : j'en doutais. Il n'avait fait que son travail : m'appâter. Et naïvement, une fois de plus, j'avais cru en l'être humain. J'avais sincèrement cru qu'un homme m'adressait la parole non soucieux de ce que j'avais pu faire par le passé. Je me sentais trahis. Tout cela me répugnait.

Cet homme que je ne connaissais pas en savait trop. Mais cet homme n’était pas n’importe quel homme : c’était un flic - « Et plus encore Noah. » - murmura-t-il. Je me sentais comme pris au piège, comment avais-je pu être si bête. Parce que j’avais tué un homme, devais-je être poursuivis toute ma vie ? Non, car j’avais purgé ma peine, et je vis soudain mon désir de recommencer ma vie partir en éclat. J’étais revenu au point de départ, ou du moins ce flic m’y avait ramené. Non, je refusais. Voilà pourquoi je m’étais levé brusquement, les poings et le cœur serrés, en colère. L’homme assis là, la cause de mon état, se leva, bombant le torse, comme pour m’impressionner - « Écoutez : ce que vous avez bien pu faire par le passé j’m’en moque. Ce qui m’importe c’est l’homme que vous êtes. Je ne suis pas ici dans le cadre de mon emploi, pour le moment je ne peux vous en dire plus .En réalité : ce qui m’importe est de savoir si vous êtes digne de confiance et si vous avez assez de tripes pour faire partie de l’aventure que je m’apprête à vous proposer » - Je le dévisageais, ahuri. Premièrement : L’homme que je suis ? Il ignorait totalement l’homme que j’étais, il ne connaissait rien de moi, il ne faisait que prétendre. Deuxièmement : Digne de confiance ? Pour qui se prenait-il ? J’étais un homme d’honneur oui, mais lui ? Pouvais-je au moins lui faire confiance ? Le croire lorsqu’il disait qu’il n’était pas là dans l’exercice de ses fonctions ? Et puis quoi, il me proposait une ‘aventure’ ? Laissez moi rire. Quoi, il voulait un partenaire pour faire les casse-cou dans la jungle d’Amazonie ou bien naviguer comme un pirate à la recherche d’un trésor perdu ? Ce type était un comique, c’est ça ? Alors qu’il se rassis, je repartis en grognant, ne sachant quoi penser de tout ça. Je fis quelques pas, décider à quitter Fourth Park, et puis, contre toute attente, quelque chose m’arrêta. J’étais intrigué, par ses propos, je désirais même en savoir plus, curiosité naturelle - accrue chez moi - sans doute. Quoi qu’il en soit, je serrai les poings, et en soufflant je m’en retournai rejoindre le type assis sur ce banc, qui esquissait un sourire de vainqueur. Je restai debout, observant l’homme devant moi - « Jurez sur votre honneur que ce que je vais vous dire vous suivra dans la tombe » - lança celui-ci. Je souris à moitié - « Je suis un homme d’honneur. Si ça ne vous convient pas, vous n’aurez qu’à me tuer. » - rétorquai-je, défiant. Je secouai la tête, n’en revenant pas de ce que j’étais en train de faire, et puis, résigné, je me rassis, attendant de voir ce que ce type avait à me proposer.

« Bien parce que je n’hésiterais pas à l’faire » - souffla le flic. Il ne semblait pas plaisanter, ce qui me décrocha un fin sourire. Je n'avais rien contre les flics en général, et quand la police de Phœnix m'avait arrêté après le meurtre que j'avais commis, je l'avais accepté sans sourciller. Je n'avais pas regretté une seconde mon acte, car cette enflure qui avait tué ma mère ne méritait rien d'autre que la mort, mais ces policiers avaient simplement fait leur boulot. Je m'étais plié à la justice, après avoir fait la mienne. Mais ce qui m'énervait, c'est que ce flic là venait me 'harceler' des années après, il avait lu mon dossier alors que j'avais purgé ma peine, alors que je désirais oublier le passé que je traînais avec moi. L'homme sortit un paquet de cigarettes qu'il me tendit, avant de s'emparer de l'une d'elle qu'il grilla avec un vulgaire briquet. J'acceptai volontiers, j'étais adepte de la nicotine et ce n'était pas nouveau, et sur le moment j'en avais sérieusement besoin. J'extirpai une cigarette du paquet, voyant l'autre allumer la sienne. J'haussai les sourcils. Je n'avais pas de briquet sur moi, je n'en avais jamais eu : grâce à mon don un claquement de doigts suffisait - « Ça tombe bien que vous soyez un homme d’honneur Noah , c’est exactement ce que je recherche. » - Je l'écoutais, puis regardant alentours s'il n'y avait personne je coinça ma cigarette entre mes dents. Le type me regardait sans mot dire, tirant sur sa propre cigarette, alors que l'impatience commença à se faire sentir en moi - « Vous m’avez demandez si j’avais lu vot’ dossier ?.» - J'acquiesçai d'un hochement de tête, machinalement - « C’est justement son contenu qui m’a poussé à vous choisir. Vous devez surement vous demander de quoi est-ce qu’il s’agit ? De quel type « d’aventure » j’ose parler ? Si tout ceci n’est qu’une machination ? » - L'homme rit, ce qui eu le don de me titiller - « Mh-mmh. » - fis-je, le laissant parler avant de m'emporter - « Il s’agit de choses qui vous dépassent. Je suis persuadé que vous n’en avez probablement jamais entendu parler : est-ce que les mots Justice League vous disent quelques choses ? » - Je hochai négativement de la tête. Justice Ligue ? Ligue des justiciers ? Il se croyait dans un comic-strip ? Sans réellement prêter attention à ses paroles, je claquai furtivement des doigts, allumant ma cigarette d'une étincelle. Je ne me rendis absolument pas compte de ce que je faisais, ignorant la présence de ce type. Sans penser une seconde à ce qui pourrait m'arriver s'il savait que je contrôlais le feu. Au pire, je prétexterais à une hallucination de sa part. Je tirai un coup sur la clope nichée entre mes lèvres, inspirant une bouffée de nicotine qui me fit du bien – bien que mes poumons n'en disaient sans doute pas autant, pourtant de quoi avaient-ils à se plaindre ? Le noir, c'est tendance non ? - « La Justice League a pour but de combattre les Cavaliers Noirs » - Je pouffai, laissant un sourire planer sur mon visage amusé. Des cavaliers noirs hein ? Une image tout droit sortie du seigneur des anneaux s'accrocha à mon imagination. Un cavalier – en cape – galopant à dos d'étalon, tous deux vêtus de noir, poursuivis par ... spiderman. Ouais je m'imaginais Peter Parker pourchasser un homme sur son fidèle destrier. Pathétique non ? Tel l'était ce flic irrationnel - « Ceci n’est pas une plaisanterie Monsieur Donovan… Il ne s’agit pas d’un univers fictif relatif à un de vos bouquin…c’est la vérité pure : une réalité à laquelle je vous propose de prendre part. » - Je dirigeai mon regard vers mon interlocuteur - « Vraiment ? Pourquoi moi ? Je ne suis pas le seul meurtrier de Wellington. Ni le seul homme d'honneur. Quoi que peut-être le seul réunissant ces deux qualités. Mais vous ? Vous êtes flic n'est-ce pas ? Mais que sais-je de vous ? Même pas votre nom ... » - Je le fixai un instant en marquant une pause avant de reprendre - « Et puis quoi ? Tous ces termes ... Justice League ... Cavaliers noirs ... vous croyez vraiment que tout ça existe ? Je veux dire, je n'ai encore jamais croisé d'homme araignée ni de bouffon vert ... » - désormais, j'arborais une expression cynique, et un sourire moqueur se dessina sur mes lèvres. Comment ce type que je ne connaissais pas – et qui vraisemblablement, me connaissais trop, à mon goût – pouvait-il prétendre quelque chose d'aussi énorme, et espérer que je le crois ?

Le policier sourit quand je lui parlai de mes références fantastiques, il y avait de quoi - « Un homme araignée ça ne court pas les rues, je vous l’accorde, les bouffons verts non plus et puis, je doute qu’un individu soit assez con pour prendre un tel pseudonyme … » - un sourire en coin s'afficha sur mon visage. Il comprenait tout de même ce que je voulais dire, les superhéros marvels ne sont pas réels - « Bouffon vert, je crois que je préférerai mourir. » - j'arquai les sourcils en signe d'approbation. Sûr que 'bouffon vert' n'est pas un terme très classe, pas vraiment - « On est d'accord. » - je tirai sur ma cigarette, dans un mélange de nervosité et d'excitation. Sans que je sache pourquoi, une part de moi posa l'éventualité que ce que ce type disait était vrai - « D’accord : je suis flic, mon nom est Grant. Dirk Grant. Que voulez-vous savoir de plus ? Vous semblez désorienté. Je peux comprendre mais avant de prendre des risques, il faut que je sache une chose …est-ce que vous avez une quelconque idée de ce que vous ferez plus tard ? » - Dirk Grant : jamais entendu parler. En même temps rien d'extraordinaire à cela puisque désormais je me tenais éloigné de la police. Il me demandait ce que je voulais savoir de plus. Peut-être que j'espérais en savoir autant que lui ? Peut-être que j'estimais qu'il en savait trop et que je n'appréciais pas qu'il ait une longueur d'avance ? Il me demanda ce que je ferais 'plus tard'. Qu'entendait-il par plus tard ? La seconde suivante, la minute d'après ou bien demain ? Mais qui sait de quoi est fait demain ? Non, en vérité il me posait une question essentielle sur mon avenir, une question qui demeurait sans réponse - « Une introspection, il vous en faut vraiment une pour me répondre ? Normalement : ça s’fait du tac au tac. » - Je lui jetai un regard bref. J'étais un peu perdu - « Etiez-vous là lors du blackout ? » - je fis signe que non. J'en avais entendu parlé : une panne générale, des accidents, un carambolage, une ville empreinte à la panique totale. Mais ce jour-là, j'avais décidé de faire une escapade. J'avais pris la route de l'Arizona, ma terre, mes origines. Je m'étais rendu à Phœnix. Pour un homme qui ne désire qu'oublier son passé, c'est quand même étrange non ? Pourtant ce jour là j'avais pressentis quelque chose, enfin j'avais voulu retourner sur sa tombe ... La tombe de Molly Donovan, la tombe de ma mère. J'avais eu besoin de réfléchir. Ce jour là je n'avais espéré qu'une chose : ne pas revoir mon père. Mon vœu avait été exaucé, mais pour combien de temps ? Peut-être que même si jusque là je le détestais, au fond de moi je voulais le retrouver, revoir son sourire débile et avoir des explications. Des explications sur pourquoi après la mort de maman, il n'avait été qu'un incapable, qu'il n'avait pas su s'occuper de ses propres enfants, qu'il avait laissé Ginny tomber dans la drogue, qu'il m'avait laissé croupir en prison. Tout ce que je voulais en fait c'était des réponses. Et c'était sans doute ce besoin de vérité qui 'avait conduit vers la littérature - « L’œuvre des Cavaliers Noirs, ça a créé un sacré remue-ménage : un vrai merdier » - je déglutis. Un vrai merdier oui, et je voulais arranger ça, changer les choses. Même si je pensais surtout à ma famille, je ne tarderais pas à comprendre que cette résolution s'articulerait aussi à la Justice League - « Ce que je vous propose : c’est une situation. Une sorte de « passe-temps ». Vous aimez la justice autrement vous n’auriez pas liquidé le meurtrier de votre mère. On vit dans un pays où malheureusement on vous condamne d’avoir agi de la sorte, si ça ne tenait qu’à nous… » - Je posai mon regard on ne peut plus sérieux sur ce Grant - « …on vous aurait décerné une médaille. » - Il parlait de mon acte de vengeance, de ma mère, de ce qui me touchait le plus - « Et vous êtes flic ? ... vous savez quand la police de Phoenix m'a arrêté, j'ai accepté, parce qu'ils ne faisaient que leur boulot. Pourtant je n'avais aucun regret de ce que j'avais fait, parce que ce mec était une ordure, et qu'il avait tué ma mère. Vous avez déjà tué un homme ? Avez-vous pointé une arme sur un homme en vous disant que lui ôter la vie était ce qu'il y avait de mieux à faire ? ... » - Dirk était une des rares personnes à qui je me confiais autant, quand on y pensait - « ... pourtant j'ai perdu toute ma famille ce jour là, ils m'ont tous tourné le dos, parce que j'étais un meurtrier. Mais pourtant je n'ai fait que ce que j'estimais juste ... et jamais je ne pourrais regretter mon geste. Je sais que c'est ce qu'elle aurait voulu. » - Un silence s'imposa, mon regard plongé dans celui de l'autre. Je plissai les lèvres, mon cœur serré remué par tous ces souvenirs. Finalement Grant brisa ce silence - « Je vous offre la possibilité d’être le Clark Kent de Wellington, j’ai bien aimé la façon subtile d’allumer votre cigarette…» - « Ouais, j'accepte. Je ne peux qu'accepter, parce que vous êtes un flic ... parce que vous avez une certaine conception des choses qui doivent être faites. Si ces cavaliers noirs sont bien ce que vous prétendez, s'ils sont ce qui fait pencher le monde du mauvais coté ... alors oui ... » - puis mon esprit regarda quelques instants plus tôt, il avait noté que je n'avais pas utilisé de briquet pour m'en faire griller une ... Je levai les yeux avec stupéfaction vers le policier - «Pyrokinésiste alors ? » - renchérit-il - « ... » - Je baissai les yeux, puis un air empli de conviction envahit mon visage. Je claquai des doigts, faisant cette fois apparaître plus qu'une étincelle, éclairant le bout de mes doigts d'une flamme incandescente. J'approchai ma main enflammée du visage de Dirk, et relevai les yeux vers lui - « Pyrokinésiste. » - Je crois que ça y est mec, je te fais confiance. Me déçois pas.

Le feu au bout de mes doigts brûlait doucement, calme comme je l'étais, puisqu'il évoluait selon mes émotions. Ma peau chauffée à sa source était noircie par la cendre, mais plus ça allait moins je sentais les flammes sur ma chair sensiblement humaine. Au fur et à mesure que j'utilisais mon don, une sorte de corne s'était formée sur le bout de mes doigts, me protégeant ainsi des brûlures occasionnée lors de l'utilisation de ma pyrokinésie. Les flammes finalement me représentaient bien, elles savaient être bienveillantes, réchauffer l'âme et le coeur. Et puis elles pouvaient être empreinte à la passion, aux désirs – littérature, vengeance ... justice ? - et être dévorantes, dévastatrices. L'ardeur du feu dépendait de ma propre énergie vitale, de mon état d'esprit. Dès lors, je comprenais que j'étais un élément essentiel à cette Justice League. Et en y réfléchissant, je vînt à me demander si ce n'était pas ma destiné ... J'ignorais si je devais y croire, car j'aimais penser que chaque homme est libre de ses choix, pourtant tout me laissait penser que tout ceci avait été prévu pour moi. Je venais de Phoenix, une ville dont le nom était celui d'un oiseau de feu. Et puis j'avais été en prison, et j'avais donc été forcé de me battre un minimum pour survivre. Enfin j'y avais rencontré Kate, et c'est elle qui avait motivé ma venue à Wellington. Là, j'avais hérité de ce pouvoir qui me permettait de contrôler le feu, et enfin cet homme venait me recruter pour faire la justice – sentiment que j'avais au fond, toujours éprouvé - « Je suis soufflé… » - lança Dirk, quand j'eus approché ma main enflammé près de son visage. J'esquissai un sourire et fermai ma main en un poing, éteignant ainsi le feu ardent, et laissant s'en échapper quelques brins de fumée. Dirk Grant se leva et me proposa de marcher un peu, ce que j'acceptai en saisissant mes affaires - « J’apparais comme un élément perturbateur dans le livre de votre vie, Noah. Vous savez ce qu’est leur rôle, je ne vais pas vous l’apprendre. J’espère que les actions du héros, vous, seront en conséquence. » - Oui. Je saisissais ce que cela signifiait. Ma vie allait clairement prendre une autre tournure, une tournure à laquelle étrangement je me sentais prêt - « Le Quartier général ne se situe pas bien loin de l’endroit même où nous nous trouvons » - J'arquai un sourcil. Tout ceci devenait sérieux. La Justice-League possédait carrément un QG, et je commençai à comprendre dans quoi je mettais les pieds - « les risques sont tels qu’il nous est impossible de nous y rendre de jour, du moins, lorsqu’il n’est pas question d’un cas de force majeur… » - Les risques devenaient réels, quand Grant les évoquait. Je prenais conscience des changements qui allaient prendre forme dans ma vie, mais cela ne me faisait pas peur, au contraire c'était plutôt excitant ... et très sérieux - « Je vois. » - « Je possède une entrepôt désaffectée dans l’ancienne zone industrielle » - Je tirai une dernière fois sur ma cigarette, attentif aux paroles indicatives du policier - « …c’est là, que notre préparation aura lieu, je suppose que vous ne savez pas vous battre ? » - Je lui lançai un regard de travers. J'étais peut-être un littéraire, un passionné des livres, mais cette passion était née en prison. Et je savais me battre bien avant la prison, puisque à la mort de ma mère, je m'étais mis à taper sur le premier venu : voilà à quoi avait ressemblé mon adolescence. Et en prison, mon art du combat s'était amélioré, si je puis dire. J'avais du me battre parfois, faire face à mon impulsivité, tenter de garder un self-control, ce qui n'était pas toujours évident. Mais aujourd'hui j'étais là, bel et bien vivant. L'inspecteur éclata de rire - « Pardonnez-moi d’avoir osé vous offusquer ! » - je le dévisageai et fini par sourire - « Tout à l’heure, vous avez parlé du sentiment de justice que vous aviez ressenti lorsque vous aviez commis ce meurtre … » - mes traits se durcirent et mon regard s'assombrit à l'évocation de cet événement de mon passé, comme à chaque fois - « Essayez de vous défaire de ce sentiment, cette nostalgie que vous avez lorsque vous parlez de cet évènement. Prenez garde, il ne faut se fier à personne dans cette ville, depuis 2007. » - Je le savais, qu'il fallait que je me détache de tout ça, mais mes sentiments me dépassaient. C'était sûrement ma faiblesse, mais le meurtre que j'avais commis me touchait de trop près pour que je reste impassible. Cela remuait trop de choses en moi. Quand l'homme évoqua le fait qu'il était imprudent de se fier à quelqu'un ici, depuis 2007 je plantai mon regard sur lui - « Non, en moi, vous pouvez » - Je me détendis - « D'accord. Mais vous savez, je suis humain ... cette nostalgie dont vous parlez, elle fait partie de moi. Cela me touche de trop près ... elle sera toujours là ... » - Je jetai ma cigarette, enfin ce qu'il en restait, et écrasai le mégot à l'aide de mon talon - « ... alors, ces cavaliers noirs ... notre devoir est-il de les supprimer ? Je veux dire, j'ai du sang sur les mains, mais je ne les salirais pas plus si je n'ai pas la preuve que ces gens sont de parfaits enfoirés ... » - je me passai la main dans les cheveux, empreint à un moment de réflexion intense - « ... et vous, vous êtes flic alors ... ces crimes pour la justice, resterons dans la justice-League, n'est-ce pas ? Ses membres ne pourraient être arrêter pour des actes justes et moraux envers ces malfaiteurs ...? » - Je préférais assurer mes arrières, car quoi qu'il se passe par la suite, je ne comptais certainement pas retourner en prison.