"Orchard of Mines."

Des heures que j’attendais, tournant en rond. Devant cette porte vitrée haute comme deux et large comme quatre, je me sentais un peu seul, et inutile, à faire les cent pas de cette manière. L’hôpital… Un lieu que je ne fréquentais pas forcément, voire pas du tout pour être honnête. Les gens allaient et venaient, souvent d’un pas précipité ; certains semblaient nerveux, d’autres tristes, et d’autres encore tenus par la douleur. Moi, j’étais des nerveux, et pour une raison bien particulière. Oh, non, il n’y avait personne à l’intérieur pour moi, personne de blessé ou de malade me concernant, et je ne m’étais pas fait de mal moi-même. Non, j’étais là… pour elle. Pour Hazel. Et c’est elle que j’attendais, que je guettais depuis tout ce temps. Elle qui hantait mes nuits et mes jours depuis que je l’avais revue, depuis qu’elle m’avait embrassée. Peut-être ne voulait-elle pas de moi, mais j’étais déterminé à la revoir, à l’obliger à me faire face, à arrêter de fuir. Si elle croyait que sous prétexte de son dangereux pouvoir elle pourrait s’effacer toute une vie et jeter les gens qui voulaient nouer une relation avec elle, elle se trompait du tout au tout, et surtout quand il s’agissait de moi, l’ambitieux, l’homme prêt à s’inventer une vie pour être accepté par les autres. Je dois avouer que je ne devais pas ressembler à grand-chose : des longues cernes soulignaient mes yeux bleus, mes cheveux n’avaient rien de coiffés, et mes habits étaient banals.
En fait, je ne savais pas si elle viendrait, je ne savais même pas si elle comptait passer par là. Tout ce que je savais, c’était que sa meilleure amie reposait en état comateux ici, et je m’étais dis qu’elle devait sûrement lui rendre visite de temps à autres… Ca faisait déjà plus de trois jours que je faisais le guet, espérant apercevoir sa chevelure parmi les autres. Mais non. Rien. J’étais à l’agonie. Plus ou moins. Je me rongeais les ongles, me demandant quand est-ce qu’elle viendrait enfin, quand est-ce que je la reverrais. Soupir… Je me faisais sûrement des illusions. Elle me jetterait finalement comme les autres ; qui aurait bien pu vouloir de moi ? Je n’étais rien d’autre qu’un jeune homme mignon, un séducteur. Sauf que je n’avais rien pour flamber… enfin, le vrai Ethan non. J’aurais pu lui dire que moi aussi j’avais un pouvoir, en inventer un, histoire de me rapprocher d’elle, j’aurais pu mentir oui. Mais avec elle j’avais décidé d’être honnête, allez savoir pourquoi. J’étais fou.

Et soudain, je la vis, là au loin. Vite ! Il fallait que je l’intercepte ; une fois rentrée, ce serait trop tard. Je courus à sa rencontre, comme on court rejoindre son premier amour, sans se rendre compte de la stupidité de ses actes. Et je criais son nom :

« Hazel ! Haaaazeeeeel !!! »

J’aurais hurlé comme un possédé pour qu’elle s’arrête. Je me plantais essoufflé devant elle et esquissait un sourire timide. Aie, j’avais oublié quoi lui dire… Espérons que le sourire charmeur me sauverait la mise. Je l’aurais bien serrée dans mes bras, mais je crois avoir retenu la leçon du coup de jus. Je tentais quand même d’engager la conversation… Même si elle allait sûrement m’esquiver et partir, ou encore mieux, foncer sur moi pour m’anéantir et pouvoir continuer tranquillement ça route :

« Euh… tu vas bien ? »

Nul, nul, et nul. Mais tant pis… Je dansais d’un pied sur l’autre, et à l’intérieur de moi une boule se formait, obstruant mes cordes vocales. J’étais sûrement trop anxieux, cette discussion représentait tout pour moi…

Je l’avais là, devant moi, enfin, après en avoir rêvé, ou cauchemardé pendant des jours. Je devais absolument la revoir, et je l’avais retrouvée, après tant d’attente. Elle avait des cernes mal dissimulées, et je devinais aisément qu’elle avait dormi au moins aussi bien que moi. Donc très mal. Elle était belle, même dans ces vêtements qui ne la mettaient pas forcément en valeur, et aussi l’admirais-je sans retenue, toujours aussi impressionné que la première fois. C’était un peu le cas de tout le monde qui posait son regard sur elle ; elle n’était pas la Queen pour rien.

« On ne peut mieux ».

Mensonge éhonté, je le savais aussi bien qu’elle, mais je ne dis rien. Peu importait, j’aurais sûrement fait pareil à sa place. Elle devait être plus qu’étonnée de me voir ici, et j’étudiais ses traits ; avait-elle l’intention de prendre la poudre d’escampette ? Je fronçais les sourcils, elle ne m’échapperait plus. Elle s’approcha de moi, intriguée, et je lisais sa question sur ses lèvres avant même qu’elle ne la pose. Ce que je faisais ici ? C’était évident, j’étais là pour elle. Pour ses yeux, son sourire, sa beauté, sa fragilité, sa naïveté, son inconscience. Hazel pensait qu’en fuyant le monde, qu’en repoussant les autres, qu’en se créant une carapace pour se protéger de la société, elle pourrait vivre avec son pouvoir sans blesser personne. Elle le payait au prix de son bonheur, son choix avait de lourdes conséquences : la pure solitude, totale, exclusive. Confrontée à elle-même, face à ce problème très particulier, elle avait choisi de s’enfermer. Et moi, en obstiné que j’étais, j’ouvrirais cette porte qui menait à son cœur, je défierais sa résolution. Est-ce que je l’aimais ? Peut-être bien que oui, si envoyer valser mon monde, ma vie de mensonge pour entrer dans la vie d’une jolie fille pouvait être considéré comme. J’avais besoin d’elle, ma vie était aussi vide que la sienne, et dans un certain sens, elle avait donc besoin de moi. Je voulais faire des efforts pour la comprendre, l’aider à s’assumer, à vivre avec cette nouveauté, je voulais que nous soyons interdépendants, que nous nous tirions vers le haut, elle comme moi. C’était nécessaire. Et c’était aussi sûrement la meilleure décision que j’aie prise depuis longtemps. Enfin… je crois. J’espère que je ne me trompe pas. Et je lui devais une réponse… une réponse claire, histoire qu’elle comprenne que fuir ne servirait à rien devant moi, que je la rattraperais toujours, que je ne comptais pas la laisser s’échapper de telle sorte.

« Je suis là… pour toi. J’avais besoin de te voir… Ne pars pas… »

Et sans savoir pourquoi, sans savoir d’où cette confiance me vint, je me jetais sur ses lèvres, pour l’immobiliser, et la prenais dans mes bras, je la serrais contre moi, l’enlaçais pour ne pas qu’elle ne bouge, de peur qu’elle me glisse entre les doigts comme le sable, qu’elle ne m’échappe. Pourquoi pouvais-je la toucher sans que de l’électricité me traverse ? Peut-être ce pouvoir l’avait-il quitté… C’était un soulagement. Je l’embrassais longuement, jusqu’à ne plus avoir de souffle, et tant qu’elle ne me repoussait pas, je continuais.

« Excuse moi je suis désolée. »

Si avant j’étais déjà pas mal paumé, si les questions étaient nombreuses et incessantes, là, vraiment je ne savais plus quoi penser. Mais alors plus du tout ! J’essayais pourtant de comprendre, de rassembler les morceaux… tout avait explosé encore une fois, c’était comme un gigantesque puzzle qui se défaisait à chaque fois que je croyais l’avoir réussi. Et ce puzzle, c’était Hazel, Hazel avec moi. Elle avait répondu à mon baiser, et je l’avais sentie s’engager dans ce contact, j’en étais certains. Pourtant, sans que je sache pourquoi, je reçus soudain une gifle phénoménale, et je peux vous assurer que ma joue en porte encore la trace. Autant préciser que je nageais totalement… mais alors encore plus lorsqu’elle me rembrassa. Si si, vous avez bien lu… elle m’avait embrassé à nouveau. Les femmes sont vraiment des êtres compliqués… Mais finalement, je pense que le mieux à faire était encore de profiter du baiser plutôt que de se demander le pourquoi du comment. Tant qu’elle restait ainsi collée à moi, j’étais heureux, oui, enfin… je crois. Mais pour combien de temps ? Je ne voulais pas me l’avouer, mais je savais pertinemment qu’elle se retirerait très bientôt de peur que son pouvoir ne revienne. Et je ne voulais pas qu’il revienne, pas maintenant ; j’avais envie de la garder contre moi encore de longues minutes. Je crois que… je crois que j’étais tombé amoureux, comme ça. Ca semblait irréel et plutôt stupide, je lui avais à peine parlé, et elle avait failli me tuer à deux reprises – bon, une fois par ma faute d’accord. Mais… elle me touchait au plus profond de moi, sa fragilité, et en même temps sa détermination à rester seul m’avait bouleversé. Et je me rendais compte qu’il n’y avait rien de pire au monde que d’être isolé du reste de la société, je ne comprenais que maintenant que j’avais écarté le bonheur de mon chemin au moment où j’avais créé un Ethan. Elle était belle, elle m’avait ouvert les yeux, elle avait besoin de soutien. Quoi de plus ? Finalement, le sentiment qui me traversait ces trois derniers jours n’avait rien de vraiment surprenant. Je l’aimais… c’était bizarre à dire. Et elle ? Que représentaient ces baisers pour elle ? Il fallait que je le sache… à tout prix. J’étais bien loin de mon objectif de popularité… je m’étonnais moi-même. Je me surprenais même à dire ces mots :

« Ne pars plus… reste avec moi… j’ai besoin de toi. »

J’étais plutôt prétentieux de vouloir qu’elle reste ; qu’aurait-elle bien pu apprécier chez moi, sinon mon physique ? En quoi pouvais-je lui plaire ? Elle devait sûrement penser que je lui serais inutile… Mais pourquoi m’embrassait-elle alors ? J’étais vraiment perdu. Mais je la serrais contre moi, délicatement, de peur de la briser entre mes bras, mais assez fort pour la retenir. Je posais ma tête sur son épaule, contre la sienne, prenant des inspirations saccadées, mon cœur battant à tout rompre dans ma poitrine. Face à elle, j’aurais dû me sentir intimidé, peut-être même menacé. Mais sûrement étais-je trop idiot pour mesurer l’ampleur de la menace, comprendre que je risquais un peu ma vie à chaque secondes auprès d’elle. Et d’un autre côté, je ne voulais pas penser ça, je voulais croire en une possibilité de relation. Je voulais faire cet effort. J’étais peut-être fou à lier… depuis le temps que je mentais à tout le monde, je ne savais même plus qui j’étais moi-même… et je me redécouvrais peu à peu, auprès d’elle. Hazel… son nom résonnait dans mon oreille comme une délicatesse, une douceur. Qui pouvait penser que ce nom cachait une centrale électrique ? Mais pour moi, désormais, elle était bien plus que ça… Je le sentais.

Je crois que mon corps tout entier commençait à tressaillir, et même si le baiser était plus que bon, je doutais qu’il en fut la cause. Il ne me restait donc plus que quelques secondes de contact avec Hazel, quelques secondes précieuses, quelques secondes que j’aurais voulu voir devenir des heures entières, voire même des jours. Mais, finalement, comme je l’avais pressenti, elle s’écarta de moi, comme ça, à regret. Je le voyais dans son regard, dans son attitude : ce n’était pas un choix, mais une obligation, si je voulais encore vivre parmi les humains, en tout cas…

« Excuse-moi… Je vais te faire du mal... Je ne pars pas ! Je serais là... Tant que tu voudras de moi. Je ne lâcherais pas... J.. Je ne veux que toi et autant besoin de toi. Pardon. »

Affichant une moue déçue et désolée à la fois, je la regardais sortir ses gants de son sac, les même que ceux de la dernière fois, ses gants « anti électrochoc », aurais-je envie de dire. Sa main gantée vient se poser sur mon cou, et je posais la mienne par-dessus la sienne. Ceci étant dit, elle ne voulait pas partir, et c’était le premier point positif – après le baiser bien sûr. Le fait qu’elle dise ne vouloir que de moi traversa mon cœur comme on entend un « je t’aime » pour la première fois dans sa vie… J’affichais sûrement un sourire stupide comme j’en avais l’habitude, et j’aurais voulu reprendre mes esprits plus rapidement, paraître moins sentimental. Trop tard pour jouer les mecs glacials…

« Tu ne sais pas dans quoi tu t'embarques... »

Je laissais échapper un rire noir, un rire involontaire qui rassemblait toute l’angoisse, la peur qui avait précédés. D’un certain côté, sa remarque était tout ce qu’il y avait de plus sensé. Non, je ne le savais pas, et je ne voulais pas le savoir. J’étais trop immature pour imaginer l’enfer que serait une vie aux côtés d’une femme électrisée par la chute de météores, une femme qu’on ne pouvait toucher que par intermittence. Une femme qui, sûrement, devait avoir des fréquentes sautes d’humeur du fait de tout le contrôle que requérait son pouvoir, et de touts les inconvénients qu’il impliquait avec lui. Oh… finalement, je mesurais plutôt pas mal ce qui m’attendait, ce que j’avais… choisi. Ça sonnait bien, dit comme ça… Maintenant quand je posais mon regard sur Hazel, je voyais en elle la fille qui rendrait mon lendemain différent, et sûrement meilleur. C’est ce que j’avais voulu voir dès nos retrouvailles. Brûlant d’excitation maintenant que j’avais l’espoir de former un couple avec elle, j’aurais voulu fondre sur elle avec amour, mais je ne le pouvais. Frustration. Mais bon… je m’y ferais, j’en étais certain. Je pris sa main dans la mienne, et la tirais vers l’hôpital avec moi.

« Si… je sais. Et je ne changerais pas d’avis, je veux toujours de toi. Je … je t’aime. »

Je l’avais enfin dit, et je pense que j’en aurais été presque aussi surpris qu’elle, à quelque chose près. Je l’aimais donc… Mon subconscient avait parlé, ces mots étaient venus à mes lèvres d’eux-mêmes. Je lui souriais franchement cette fois-ci, libéré de tout stress, heureux tant que je le pouvais encore – c’était tellement rare dans ma vie.

« Tu as une amie à voir, non ? Je me trompe ? »


Je marchais avec elle, lentement, voulant profiter un maximum, oui ! Nous entrâmes dans le bâtiment duquel j’avais attendu devant pendant des heures, des jours, et ça me faisait tout drôle de faire un pas à l’intérieur de ce lieu si actif ; on aurait dit une vraie ruche… D’ailleurs, mes oreilles bourdonnaient. Bref, j’étais plus focalisé sur Hazel que sur le reste du monde, désormais…

Je l’avais dit… Oui ! Détournant d’abord le regard, gêné, je n’avais pas pu voir qu’elle était sa réaction, et de ce fait, je ne savais pas du tout ce qu’elle en pensait. Je tentais de lire dans son regard si je l’avais touchée, émue, embarrassée, où tout simplement surprise. Sûrement le dernier, elle ne devait pas s’être attachée autant à moi, non ? J’en savais trop rien… j’espérais me tromper. Ses yeux brillaient, et je croisais les doigts pour que ce soit au bon sens du terme. Je ne pouvais pas encore prétendre connaître Hazel, mais l’unique rencontre que nous avions eu auparavant m’avait appris beaucoup de choses sur elles, et son caractère me semblait évident. Aussi ne m’attendais-je pas à la voir tomber dans mes bras et exclamer passionnément son amour pour moi, si du moins amour il y avait. Je serais presque devenu croyant rien que dans le but de pouvoir prier pour qu’elle m’aime, j’vous jure ! Quel paradoxe, la vie… J’avais tellement changé depuis que je l’avais revue. C’était un peu comme si j’ouvrais les yeux sur le monde, que je comprenais que le rationnel n’existait pas, que le paranormal faisait son œuvre, que le mensonge ne menait à rien, et que la croyance en devenait moins risible qu’avant. Ainsi donc, la science ne pouvait pas tout expliquer ? J’étais dérouté, et c’était la moindre des choses… En plus, j’avais failli mourir à deux reprises ! Quel idiot j’étais… Hazel ne s’en était sûrement pas encore rendue compte, sinon n’aurait-elle jamais dit ce qu’elle avait avoué quelques minutes auparavant. J’essayais de cacher ma fierté, de ne pas à montrer à Hazel à quel point je me sentais puissant après un baiser avec elle. J’avais conquis la Reine… et ce grâce à ma véritable personnalité. Il ne m’était jamais rien arrivé de tel jusqu’à aujourd’hui dans ma vie, et pour moi, c’était une sorte de renaissance, la renaissance du Ethan enfant.

« J'espère que tu ne changeras pas d'avis… Lorsque tu verras que je peux être pénible avec ce pouvoir... »

Et, en conséquence, non. Je n’aurais changé d’avis pour rien au monde, pas maintenant que j’avais quelqu’un dans ma vie, pas maintenant que mon avenir s’éclairait un peu, que la lumière entrait dans mon existe. Bien qu’elle était différente des autres, je l’aimais pour celle qu’elle était, et peu m’importait. Je me rendais compte que rien n’était parfait dans notre passage sur terre, et que j’aurais toujours à accepter certaines difficultés. La difficulté se présentait à moi, et je ne l’éviterais pas, je m’en fis la promesse. Je voulais la surmonter pour rendre Hazel heureuse ; oui, j’étais un peu fou. Les séquelles de ma vie.

« Oui je venais voir Laureen, elle est toujours dans le coma elle... »
« Ok ! »

Qu’aurais-je pu dire d’autre ? J’étais désolé pour elle. Je la laissais me guider dans ce lieu qui lui était sûrement plus familier qu’à moi, regardant les gens passer, que ce soit des infirmières ou des médecins, ou encore de simples visiteurs ou malades, et, parfois, je jetais un coup d’œil à Hazel, de peur qu’elle disparaisse tout d’un coup, que je me réveille en sursaut dans ma chambre, à comprendre que ce n’était qu’un rêve. Mais non… elle était bien là. Nous entrâmes dans la chambre de ladite meilleure amie, qui dormait là paisiblement… Le coma. Comment s’était ? Je veux dire, était-on totalement absent, où l’esprit nous envoyait-il quand même des images ? J’étais curieux de savoir, mais à la fois ça ne m’enchantais pas trop de devoir l’apprendre un jour… Je regardais Hazel, gardant sa main dans la mienne, ne sachant trop quoi dire. Je me mordais la lèvre en même temps, me demandant s’il valait mieux avoir une meilleure amie dans le coma, ou être seul, tout à fait seul, comme moi… Soupir. Pourvu que Laureen se réveille un jour… je l’espérais pour Hazel.

Dans un lieu tel que celui-ci, un lieu qui respirait la froideur et la maladie, on frissonnait rien qu’en plongeant son regard dans la pâleur déconcertante des murs. Un idiot comme moi se demandait pourquoi personne n’avait eu l’initiative d’insuffler un peu de gaieté, quelque chose de banal mais qui pouvait ne pas aggraver la situation morale des patients, qui ne se rattachaient pas à grand-chose finalement. J’aurais voulu chanter, avec cette voix extrêmement fausse qui étais la mienne, pour faire sourire Hazel, pour faire rire deux ou trois personnes, peut-être même un enfant, mais… je savais que ce n’étais pas le moment, loin de là. Sur la table de chevet de sa meilleure amie, un bouquet de fleurs, des photos de famille ou d’amies proches certainement, et je devinais que tout ce qui cherchait à donner une ambiance positive à cette pièce émanait de la femme qui me tenait la main en l’instant présent. Qui d’autre, sinon elle ? Mon regard se perdit par la fenêtre, le spectacle m’était insupportable. Voir Hazel s’agenouiller et parler seule à sa meilleure amie dans le coma… J’imaginais que cette fille n’aurais peut-être plus jamais une chance parmi les siens, plus jamais de vie dans ce monde, aussi cruel fusse-t-il. Peut-être avait-elle vécu heureuse, peut-être pas, mais en tout cas, tout espoir d’avenir s’était envolé pour elle au moment précis ou les météores avait frappées son bus. Rupture nette et incontestable. J’étais bien sot de me gâcher ma vie à moi, mon cas n’était finalement pas aussi désespéré que je le croyais…
Ma nouvelle petite amie me présentait à sa meilleure amie comme un présente une ruine à un fantôme ; incroyable, mais vrai. J’esquissais un demi-sourire, reconnaissant en ces mots le manque de confiance cruel qui nous caractérisait tous deux. En mon for intérieur, je me promettais de faire disparaître le verbe « croire » de son bonheur ; je ne voulais pas de bonheur artificiel pour elle, non. Rien que le pur bonheur, celui qu’on ressent au plus profond de soi-même, qui nous fait sourire pour un rien, qui nous fait prendre la vie du bon côté, avancer positivement, toujours. C’est tout ce que je pouvais lui offrir, à défaut d’être un homme heureux moi-même, et un homme quelque peu doué qui plus est.
Je restais en retrait, ne voulant m’immiscer dans ce qui semblait l’infime reste de leur vie privée à toutes deux. Après tout, je n’étais qu’un inconnu qui s’était approprié le cœur d’une jolie fille, avec un peu d’amour et beaucoup d’obstination, je l’admets ; et je n’avais donc pas le loisir de me mêler de leur triste histoire, du moins pas de celle d’une femme tombée dans le coma qui ne me connaissait ni d’Eve ni d’Adam. Je voulais qu’on parte de cet endroit, qu’on retrouve l’air frais de la ville, le bruit rassurant de la foule. Mais pour rien au monde je n’aurais osé le lui dire : j’étais un menteur, pas un enfoiré. Enfin… pas totalement. Je décidais d’enfoncer mes mains au plus profond de mes poches et de prendre mon mal en patience… C’est tout ce qu’il me restait à faire.