« Un peu, à mes heures perdues. » Dis-je d'un air faussement rêveur, touché qu'elle s'y intéresse et qu'elle ne décide pas d'ignorer mes propos, trop centrée sur elle-même. Nous étions plus proches désormais, autant physiquement que moralement. J'avais laissé nos corps se rapprocher, ravi à la perspective d'une proximité humaine, chose qui me manquait depuis si longtemps, discussion qui me manquait depuis longtemps avec une femme. Faut-il croire que les femmes n'ont pas de conversation habituellement, peut-être. Cependant certaines femmes faisaient exception, tout comme Jaymee, tout comme Zooey. Zooey cette magnifique et mystérieuse inconnue qui, dans un excès de rage m'avait infligé une douleur rien qu'en me dévisageant. Elle m'avoua alors que je pouvais la faire changer d'avis et je soupirais, amusé. Je me doutais bien qu'elle disait cela par politesse, pour éviter de passer pour une femme fermée au monde et trop égoïste mais j'appréciais son savoir-vivre. Et puis elle me complimenta et je me demandais si elle trouvait que je parlais bien dans le sens ou j'avais de la réflexion ou si j'avais raison dans mes propos, l'un dans l'autre elle ne semblait plus aussi amène que lorsque nous avions commencé à échanger devant le mémorial.

Elle fut réceptive à mon humour et me fit rire, légèrement, avec douceur. Elle n'était pas aussi désagréable et froide que je l'avais cru. L'étudiante en génétique me demanda si je travaillais, je hochais de la tête et remarquais que ses joues avaient rosies mais en déduisais que le froid avait gagné son visage et que ma veste serait bientôt inutile. Le sol froid et dur me donna mal au dos, suite à une mauvaise posture. Je me redressais alors pendant qu'elle m'avoua avoir vingt deux ans, presque vingt trois et me pensais plus vieux. « Presque vingt-trois ? Ton anniversaire est pour bientôt ? » Demandais-je d'un œil pétillant. « Plus vieux ? Ah oui. Quel âge ? » Dis-je amusé de sa supposition. Puis je décidais de répondre à sa question avec le plus de sincérité possible. « Je travaillais dans une boite d'intérim jusqu'à il y a quelques semaines. Et puis j'ai été engagé à Livingscorp pour aider un scientifique dans ses recherches. » Inutile de préciser que c'était Cassidy Weasthonchose. Je n'étais pas un vantard et n'en étais pas plus fier. Peut-être se demandait-elle ce que je pouvais faire là-bas. « Je ne suis pas un scientifique, donc on peut se demander ce que je fais là-bas. Je n'ai pas de réponses précises mais il semble que je puisse aider d'une autre manière ce chercheur. Je n'en sais pas plus pour le moment. » Dis-je comme pour poser des limites à sa curiosité. Après tout, je pouvais très bien lui dire, je n'avais rien à cacher, du moins, rien de visible...

Wyatt souffla qu'il faisait un peu de saxophone, à ses heures perdues. Alors c'était un artiste, un musicien. Je ne les aimais pas trop quand ils étaient musicos, poète mais défoncés. Or Wyatt n'avait rien de tout ça. Malgré mon esprit scientifique je jouais moi-même du piano et chantais parfois. « J'aimerais beaucoup t'entendre jouer, un de ces quatre. » fis-je avec un sourire en coin. J'étais curieuse de savoir s'il disait y jouer pour impressionner les filles ou s'il savait vraiment bien en jouer. Et puis j'aimais énormément la musique. Je l'imaginais, saxophone entre les mains, ce sourire joueur aux lèvres et sifflant l'air d'une douce mélodie. C'était une jolie vision des choses. Quand je lui dit qu'il pouvait espérer me faire changer d'avis sur l'amour, il soupira toujours amusé. Nous riions ensemble, c'était agréable, il était agréable. À cet instant je regrettais vraiment la violence que j'avais eu envers lui. Quand je lui demandai s'il travaillait il hocha de la tête. Il faisait froid et sa veste ne me réchauffait plus tellement, pourtant je la gardais car c'était toujours ça. Mon nez coula un peu – et c'était dû au froid – ainsi je m'essuyai du revers de la manche de sa veste. Je me frottai les bras pour me réchauffer, et instinctivement – sans m'en rendre compte – je m'appuyai contre Wyatt. Celui-ci en entendant mon âge me demanda si mon vingt-troisième anniversaire était pour bientôt. Il avait le regard pétillant de curiosité. « En mars. » « Ouais plus vieux. Je sais pas. Plus vieux c'est tout.» Je lui souris. Il entreprit de répondre à ma question sur son travail. Il m'expliqua qu'il avait travaillé dans une boite d'intérim il y a de ça plusieurs semaines. Mais ce qui m'interpella c'est qu'ensuite il mentionna Livingscorp. Apparemment il aidait un scientifique dans ses recherches. « Linvingscorp ? Vraiment ? » Mon visage se crispa, je ne savais pas si je pouvais lui dire que je travaillais également là-bas. Connaissait-il l'existence du niveau 33.1 ? « Mais tu n'es pas scientifique n'est-ce pas ? » Il me dit enfin qu'il n'était pas un scientifique et que l'on pouvait se demander ce qu'il y faisait. Il pouvait aider d'une autre manière selon lui, cela m'intriguait. Il m'avoua qu'il n'en savait pas plus pour le moment. Je ravalai ma salive, posant un blanc. Devais-je lui dire ? Non. Mais je pouvais au moins lui dire que j'y travaillais en tant que scientifique ordinaire. Je ne savais pas en quoi consistait le niveau 33.1 mais je ne tarderais pas à le découvrir. Et si Wyatt y travaillait aussi ? « C'est marrant que tu dises ça ... Même si je vais toujours à la Fac Cassidy Weasthon m'a engagée à Livingscorp. Tu sais une étudiante en génétique c'est pas négligeable. » Je décidai de poser ma tête sur l'épaule de mon nouvel 'ami'.

« On verra. » Soufflais-je à mon tour, comme pour lui montrer que je n'utilisais pas cette compétence à tout va, comme pour séduire, me mettre en avant ou quelque chose de ce genre. J'avais côtoyé un univers de musiciens, de personnes plus douées que moi, peut-être était-ce pour cette raison que je ne cherchais pas à me vanter des quelques notes que je savais jouer, parce que le semblant ne prenait pas dans ce milieu surtout dans lequel des personnes expérimentées s'évertuent chaque jour à apporter quelque chose dans ce domaine. En revanche, j'admettais que l'utilisation de mon saxophone me reposait, me relaxait, m'apportait une certaine sécurité car, quelque soit la réalité que j'explorais, j'avais dans mes doigtés, dans mon esprit les mêmes mélodies, les mêmes émotions et ces sons répétitifs étaient pour moi comme un foyer, un noyau important duquel pointait toutes sortes d'informations. « C'est marrant que tu dises ça ... Même si je vais toujours à la Fac Cassidy Weasthon m'a engagée à Livingscorp. Tu sais une étudiante en génétique c'est pas négligeable. » « Je me doute. » Dis-je dans un sourire. Je n'y connaissais rien et je n'allais pas mentir. Peut-être l'organisme avait-il pour habitude d'engager quelques stagiaires ou quelques étudiants qui sait. Ils devaient avoir un quota. Elle déposa alors la tête sur mon épaule dans un élan que je ne compris pas. Bien qu'elle ne fut nullement désagréable, je ne compris pas cette soudaine proximité ni ce qui poussait la jeune à agir de la sorte, après avoir essayé de me tuer auparavant. Et puis je me mis à penser qu'elle était probablement seule et qu'elle ne parlait pas beaucoup et que ses confidences nous avaient peut-être rapprochés. « C'est marrant la vie. Quand tu penses qu'on bosse pour la même compagnie... » Le monde est petit, si petit... et parfois tellement vaste qu'il y avait de quoi donner la migraine. « Je vais y aller. » Dis-je pour écourter la conversation. Zooey ne m'ennuyait pas mais j'avais sérieusement besoin de faire un tour seul, histoire de réfléchir et de comprendre un peu plus ce qui s'était passé. De plus, je commençais à avoir froid et sentais la jeune femme ressentir également cela, ma veste ne servant plus à grand chose, je me relevais. « Tu peux la garder. Puisque tu sais ou me trouver désormais, tu réussira forcément à me la rendre. » Dis-je dans un sourire, ce qui appelait à une nouvelle rencontre, émettant clairement le souhait qu'elle me revienne dans l'espoir de la revoir, la jeune femme s'entend. « Tu veux de l'aide ? » Dis-je en lui tendant la main pour l'aider à se relever.

Il me dit que l'on verrait, cela sonnait comme une promesse. « D'accord. » Voir Wyatt jouer du saxophone devait être agréable, je le voyais déjà jouant une douce mélodie – je le voyais bien un soir d'été dans un bar ou un endroit à petit comité. Quand je mentionnai le fait que je travaillais à Livingscorp il n'eut pas l'air de s'en soucier plus que ça, il ne semblait pas surpris. Il me sourit en me disant qu'il se doutait de mon utilité au sein de l'entreprise. « Oui c'est vrai, peut-être qu'on se croisera quelques fois. » En réalité j'en doutais fort, sauf s'il travaillait au même niveau que moi, sinon nous nous croiserons sûrement peu. En tout cas, j'étais bien là, ma tête sur son épaule, avec quelqu'un à qui je pouvais me confier, c'était calme, reposant. Puis Wyatt brisa ce moment. Il me dit qu'il était temps pour lui d'y aller. Je relevai ma tête. Ma joue jusqu'alors réchauffée par son contact devint glaciale par ce froid soudain. Il se releva et je le regardais – presque triste. Il me dit que je pouvais garder sa veste. Il dit que maintenant je savais ou le trouver – Livingscorp – et que je pourrais alors lui rendre plus tard. « Oh, merci c'est gentil. Bien sûr, je tacherais de te la rendre vite.» Wyatt me fit un énième sourire. Ce qu'il disait appelait à une prochaine rencontre et je n'avais rien contre, au contraire. Voyant que j'étais toujours assise, il me proposa de m'aider à me relever et me tendit la main. Je la saisis alors, mais sa poigne d'homme m'emporta brutalement contre son torse. Il dégageait un très bon parfum qui me priva de l'envie de m'en décoller. Cependant je me reculai tout de même. « Désolée. » murmurais-je fébrilement. J'avais envie de le serrer dans mes bras, pour le remercier de m'avoir écouté, pour retrouver un contact humain qui me manquait ces derniers temps. Mais je ne savais pas comment il le prendrait alors je m'abstiens. « Je n'ai pas envie que tu parte ...» dis-je doucement.

Je crûs un instant voir une once de tristesse dans ses yeux mais pensais derechef que mon hallucination était due au fait que je n'avais plus tellement l'habitude de ce genre de rapports. J'avais fais une croix sur le genre humain, du moins aux relations qu'entretenaient les hommes, les femmes. Et puis j'avais décidé de rester dans cette réalité et j'avais enfin accepté Jeremiah comme mon meilleur ami, Dirk comme son second et avait ouvert mon cœur à une jeune étudiante qui était rapidement devenue mon amie. Au delà de ça, ma vie était un gouffre sentimental et se résumait à du sexe actif. Mais depuis quelques temps, ce mode de vie m'avait dégouté et puis en y réfléchissant, je n'avais pas non plus couché avec tant de femmes que ça. Cela n'avait jamais été un besoin ni même un mode de vie mais le réveil brutal dans cette vie m'avait appris que rien ne servait de se remémorer le passé et que rien ni personne ne pouvait me faire la morale. Ainsi lorsqu'elle semblait attristée par mon désir de partir, je fus plus troublé que ravi. Je ne comprenais pas ce soudain revirement de situation, elle qui semblait si hargneuse et à la fois si triste. N'était-elle qu'une fille à problème ? Pourquoi avais-je le don de faire entrer dans ma vie des personnes comme elle ? Mais à quoi servait-il d'ignorer ? Puisque j'avais décidé de poursuivre cette réalité, autant ne pas finir seul comme un pauvre ignare sans ami.

Je l'attirais à moi pour la relever mais elle s'emporta alors contre mon torse, elle resta ainsi quelques secondes et s'excusa en se reculant, murmurant un 'désolé' des plus adorables auquel je rendis un sourire aussi fébrile que son murmure. « Les nymphettes ont toujours tendance à s'envoler. » Dis-je entre les dents, bien plus amusé par sa légèreté que par une quelconque force de ma poigne. Cela lui donnait un air beaucoup plus naturel et beaucoup moins froid qu'aux premiers abords, ce qui me plut. « Je n'ai pas envie que tu parte ...» Dit-elle. Je respirais quelques instants sans dire mot, sans répondre, ni même à son jeu de regard. A vrai dire j'étais plutôt perdu. A quoi jouait-elle ? Peut-être n'était-elle pas cette femme brisée qui m'avait tant touché tout à l'heure mais juste la femme hargneuse qui m'avait infligé de la souffrance. Peut-être s'amusait-elle à se faire détester pour mieux se faire aimer, que sais-je. Je répondis simplement en restant vague, de peur que ce ne soit une plaisanterie et que je me fasse avoir. « En d'autres circonstances, peut-être. » J'esquissais de nouveau un sourire. Je n'étais pas une pièce de viande ni même le 'pigeon' qu'on manipulait à son gré, auquel on faisait du mal puis auquel on suppliait de rester. Et je ne voulais pas aller jusqu'à là, elle ne semblait pas être de ses filles à supplier mais je ne voulais pas tenter le diable. « On se reverra Zooey. » Ajoutais-je tout simplement en tournant les talons, pressé de rentrer chez moi en fin de compte et me surprenant par le froid environnant.

Quand je m'excusai d'avoir atterri sur son torse, il me sourit timidement. « Les nymphettes ont toujours tendance à s'envoler. » Dit-il. Ses mots étaient doux et poétiques. J'aurais bien répondu un truc du genre "Et les ogres une force surhumaine" mais je répondis par un simple sourire – légèrement amusé. Puis je lui murmurai que je ne désirais pas qu'il parte et il ne dit pas mot. Il prit sa respiration avant de briser son silence. Il finit par dire qu'en d'autres circonstances il serait sans doute resté. En d'autres circonstances ? Parlait-il de ma hargne du début de notre rencontre ? Mais ne lui avais-je pas prouvé ma sensibilité, mon humanité et mon regret. Ou voulait-il dire que ma souffrance ne lui permettait pas de rester ? Que ma rancoeur envers le monde, ma tristesse apparente ne lui permettait pas de rester. Il esquissa tout de même un sourire, que je lui rendis difficilement. Enfin il ajouta que nous nous reverrions avant de tourner les talons et de me laisser en plan. « Au revoir, Wyatt.» soupirais-je alors qu'il était déjà loin. Je me rendis vite compte qu'il faisait un froid de canard. Je jetai un dernier regard au mémorial avant de partir également afin de retrouver mon chez moi réconfortant.