Elle pianotait sur le clavier de son ordinateur portable, une cigarette brûlant dans sa main droite. Une fenêtre s'ouvrit, exigeant un nom d'utilisateur et un mot de passe. D'un geste souple et sans quitter l'écran des yeux, elle étendit son bras gauche en direction de la table basse, où trainait une feuille volante, format A4. Celle-ci s'éleva, à quelques centimètres de son support et, comme emportée par un souffle, gagna la main de la jeune femme qui la saisit de manière synchrone. Elle y jeta un bref coup d'œil, avant de la laisser tomber sur le sol. Elle exécuta de brefs tapotements de doigts le long des touches puis, plus violemment, entra ses données. Alors que la fenêtre laissait apparaître un espace de chargement, elle tira sur sa gauloise, l'air satisfait. Enfin, un nombre conséquent de fichiers apparut. Elle se pencha légèrement vers l'avant, balayant l'écran du regard, et finit par sélectionner l'un d'entre eux. Un sourire de malice se dessina sur ses lèvres roses «
Je t'ai trouvé ».
AUTOMNE 2003La frontière était là, telle une manifestation divine qui se présentait sous leurs yeux ébahis. Après de longs mois de lutte, durant lesquels la survie avait été leur unique objectif, ils touchaient au but. Malgré l'émerveillement de la jeune fille, son aîné demeurait sceptique. S'ils étaient parvenus à traverser forêts et déserts, non sans mal, le Rio Grande serait sans doute le plus grand obstacle. Les gardes frontières de cette région étaient connus pour leur professionnalisme, et n'hésiteraient pas abattre les clandestins qui parviendraient à passer de l'autre côté. Et, s'ils n'étaient pas la raison de leur perte, le désert de Mojave s'en chargerait.
Elle frotta la paume de ses mains contre ses vêtements boueux, se débarrassant du sable que la moiteur avait contenu entre ses phalanges. Ses longs cheveux couleur ébène lui fouettait le visage sous les rafales de vent. Elle leva les yeux vers ce ciel sans nuage, songeant aux caresses d'un alizé sur sa peau ambrée. Son regard de jade se perdit dans les dunes rayonnantes. Jamais encore elle n'avait connu l'Enfer. Pourtant, il se manifestait devant elle, en cet instant qu'elle aurait souhaité ne jamais vivre.
Voyant sa jeune sœur au bord de l'épuisement, Thalles tenta de la ramener à la raison ; ils étaient si proches qu'ils ne pouvaient se permettre d'abandonner maintenant. Leur vie se jouait désormais à
quitte ou double.
22 MAI 2007« Tu dis donc que vous étiez sur le point de traverser la frontière quand ton frère s'est fait tuer. Je ne peux qu'imaginer l'impact d'un tel traumatisme sur ta santé physique et mentale ... Parle moi un peu de lui, Elena. »
« En quoi mon frère est-il important pour votre thérapie ? »
« Pour commencer, il ne s'agit pas de ma thérapie, mais de la tienne. Je suis là pour t'aider, rien d'autre. En savoir davantage sur ton frère et la relation que vous entreteniez, me permettra d'évaluer l'importance des dégâts concernant ton état psychologique, pour ainsi déterminer vers quel sorte de thérapie nous orienter. »
« Thalles est mort il y a quatre ans, abattu en plein désert comme un gibier par ces gardes ! C'est tout ce qu'il y a à savoir à son sujet ! »
« Bien, si tu ne veux pas en parler, c'est ton droit et je le respecte. Maintenant, dis-moi comment les choses se sont déroulées, à la suite de ce terrible événement. »
AUTOMNE 2003Pendant plusieurs jours, elle s'était cachée une fois le fleuve franchi. Les gardes frontières savaient qu'elle avait traversé, et cherchait désormais à l'attraper avant qu'elle n'aille plus loin. Puis, un soir, elle avait pris son courage à deux mains, et s'était élancée dans cette étendue de sable et de cadavres d'autres immigrants. Un mois plus tard, elle avait quitté l'état, gagnant l'Oklahoma.
La jeune fille courrait à travers cet immense champ dont elle ne voyait pas le bout. Voilà plusieurs mois qu'elle avançait seule, dans cette terre inconnue, sans s'arrêter. Alors qu'elle était sur le point de s'effondrer, elle ferma les yeux. Elle revit son frère, s'interposant entre elle et la balle que l'arme venait d'éjecter de son canon. Il lui avait sauvé la vie. Jamais cela n'aurait du se passer comme ça ; elle ne cessait de ruminer ce moment tragique, cet acte imprudent dont elle se sentait responsable. Aujourd'hui, elle n'aurait pas du être celle qui serait sur le point de changer de vie.
Le Texas était bien loin désormais. Pourquoi continuait-elle sa course effrénée ? Elle même l'ignorait. Sans doute fuyait-elle son passé, avançant aussi vite et aussi loin qu'elle le pouvait. Difficile de savoir jusqu'où elle serait capable d'aller. Elle ne vivrait pas longtemps en tant que Brésilienne clandestine dans ce pays. Comment sa vie avait-elle pu être si violemment bouleversée, en si peu de temps ?
22 MAI 2007« Tu ne m'as pas parlé de la raison pour laquelle ton frère et toi avez fui le Brésil. Pourtant, il semblerait que vous eussiez une vie tout à fait confortable ... »
« Nos parents sont morts, voilà tout. Nous n'avions plus d'argent, plus de papiers, et étions bons pour le crime et la prostitution. On ne voulait pas en arriver là ! »
« Qu'est-il arrivé à vos parents ? »
« C'est moi ou ma famille votre sujet d'étude ? »
« Tu n'es pas un sujet d'étude, Elena. Seulement une patiente à qui nous voulons venir en aide. Bien, continue ton histoire après ton arrivée dans le Kansas. »
PRINTEMPS 2004Voilà trois mois qu'Elena s'était établie dans le Kansas. Malheureusement, ce qu'elle avait voulu à tout prix éviter, s'était emparé d'elle, comme de nombreux jeunes de la ville de Wichita. Le crime était devenu son quotidien, la drogue, son moyen de survie. Entre braquages et agressions, elle était devenue de ces jeunes qui terrorisent les populations, errant dans les quartiers pauvres à la recherche d'un dealer qui pourrait leur fournir leur dose. Plusieurs d'entre eux étaient des immigrés clandestins qui, tout comme elle, avaient espéré démarrer une nouvelle vie au pays "where all your dreams come true". Mais la plupart avait toujours plus ou moins vécu de cette manière, partageant leur temps entre la garde à vue, la prostitution et toute autre chose. A cette époque, plus personne ne croyait aux miracles. Plus personne n'espérait. Ils vivaient au jour le jour, sans la moindre ambition. Elena elle-même avait perdu toute foi en la vie, en l'avenir dont elle avait rêvé.
22 MAI 2007« Tu as donc vécu comme ça pendant trois ans, n'est-ce pas ? »
« Ouais, c'est ça. Après, il y a eu la pluie de météorites, et vous m'avez ramassée et traînée ici ! »
14 MAI 2007Les lieux semblaient sereins. Les murs étaient maculés de blanc, le sol couvert d'un carrelage luisant sous la lueur des spots lumineux perchés à un plafond de plâtre.
Elena ouvrit doucement les yeux, encore sonnée par le choc. Découvrant la pièce étrange dans laquelle elle se trouvait, elle tenta soudainement de se lever. Mais chacun de ses petits poignets était retenu aux barreaux d'un lit d'hôpital. Effrayée, elle commença à paniquer. Où se trouvait-elle ? Elle fouilla dans ses souvenirs, cherchant le jour où elle était venue dans cet endroit, mais ne parvint pas à se rappeler quoi que ce soit. Terrifiée, elle se débattit dans l'espoir de défaire ses liens, en vain.
C'est alors qu'une femme fit son apparition ; elle entra par la seule porte qui semblait rejoindre l'extérieur. Elle portait une longue blouse blanche, ses cheveux de flammes noués en chignon au sommet de son crâne, laissaient s'échapper quelques mèches de part et d'autres de son doux visage.
« Bonjour Elena » dit-elle d'une voix de velours.
« Où suis-je ? » demanda l'adolescente, la voix engourdie et tremblante. « Et qui êtes-vous ? »
« Je m'appelle Jeena. Je suis là pour t'aider ... »
« Je ne veux pas de votre aide ! Je veux que vous me laissiez partir d'ici ! »
« J'appartiens à une organisation dont le but est de permettre à tous ceux ayant été atteints par les météorites, de s'en sortir. Et je sais que tu fais partie de ces personnes ... »
L'expression d'Elena changea radicalement. Depuis la pluie, elle avait contracté d'étranges facultés, mais ne les avaient jamais dévoilées à qui que ce soit. Comment cette femme pouvait-elle le savoir ?
« Beaucoup de personnes ont subi les méfaits de ce phénomène. Les astéroïdes ayant touché le Kansas, il y a trois mois de ça, ont réécrit votre ADN, vous procurant divers dons surnaturels. Nous pouvons t'aider à t'en débarrasser définitivement. C'est pourquoi nous t'avons fait venir ici. »
« Pourquoi devrais-je vous faire confiance ? »
« Notre organisation est la seule qui puisse vous soutenir dans cette démarche. Notre intérêt réside dans l'objectif de vous rendre à la société, tel que vous étiez avant. »
22 MAI 2007La jeune femme était restée enfermée dans la même pièce pendant ce qui lui sembla être une éternité. Elle avait perdu toute notion du temps depuis son entrée sur le territoire américain, et cette organisation n'avait pas pris la peine de l'informer sur la date.
Ce matin là, un homme était entré dans la pièce, avait défait les liens de la jeune fille et l'avait emmenée hors de la chambre. Tenir sur ses jambes fut le premier effort qu'elle dut fournir ; pire que lorsqu'elle était en manque, de terribles douleurs la traversèrent de part et d'autres de son corps épuisé. Elle n'avait pas la force de résister davantage.
A l'extérieur, elle ne put voir grand chose ; elle croisa quelques laborantins dans le couloir, mais aucun ne daigna lui adresser la parole, ni même la regarder. Elle était comme invisible aux yeux de tous.
Une centaine de mètres plus loin, son acolyte s'arrêta face à une porte blanche, frappa et l'ouvrit. A l'intérieur, Jeena. Elle était assise sur un fauteuil de bureau, dos à l'entrée ; elle fit pivoter le socle de son siège, se retrouvant face à la jeune fille, qu'elle salua.
« La thérapie peut commencer »
***
En sortant de la pièce, Elena fut soudainement prise d'un énorme doute concernant les véritables motivations de cet organisme si mystérieux. Attendue par une nouvelle armoire-à-glace dans le couloir, elle usa de son intelligence espérant démêler tout ça :
« J'ai besoin d'aller aux toilettes ! »
Ce dernier lui indiqua un chemin à suivre dans le couloir, sans prononcer le moindre mot, et resta sur place.
La jeune fille avança, sans réellement savoir ce qu'elle faisait ; elle n'avait rien d'un Sherlock Holmes, et encore moins d'un James Bond. La seule chose qu'elle aurait peut-être la chance d'avoir seraient des ennuis. Mais elle continua, comme si elle n'avait pas à réfléchir à la situation dans laquelle elle se trouvait. Après tout, sa vie avait pris un tournant très inattendu depuis ces derniers mois ; elle ne pouvait plus avoir confiance en rien, ni personne, et n'avait plus rien à perdre.
C'est alors qu'elle se retrouva face à une étrange salle, exigeant une carte d'accès. Fort heureusement pour son enquête, la porte s'entrouvrit, laissant sortir un scientifique qui traînait une combinaison contre la radioactivité. Ce détail ne fit qu'accentuer la curiosité et la méfiance que portait Elena, à l'égard de cette pièce close. Cependant, y pénétrer relèverait de l'impossible. C'est ainsi qu'une idée lui traversa l'esprit ; elle demeurerait dans cet endroit, afin de savoir ce qui s'y trame en réalité. Une idée relevant de la folie, mais sa curiosité avait pris le dessus sur sa raison. La jeune femme ignorait cependant ce qu'il pouvait lui arriver ...
8 SEPTEMBRE 2008Après être restée enfermée dans un bâtiment dont elle ne savait rien pendant plus d'un an, Elena avait fini par s'en échapper. Cela fut non sans peine mais, au cours de cette année, elle avait découvert son don et avait appris à s'en servir. C'est d'ailleurs ce qui lui avait valu son ticket de sortie. Elle s'était longuement débattue auprès des gardes et avait finalement réussi. Désormais, elle était dehors. Cependant, elle ne se trouvait plus à Wichita, mais à Wellington, ville dont elle ne savait rien. Jusqu'alors, elle ignorait qu'elle avait été transférée dans une autre agglomération.
Pourquoi s'était-elle enfuie ? Car elle venait de découvrir les véritables intentions de cette organisation ; des chercheurs effectuaient de nombreuses expériences sur de jeunes mutants, comme elle, sans se soucier de l'éthique et de la déontologie.
A présent, son but était de les sortir de ce maudit endroit. Mais, pour y parvenir, elle devrait en apprendre davantage à son sujet.
DE NOS JOURS« Je t'ai trouvé »
Sur l'écran lumineux s'était affiché la base de donnée qu'Elena venait de pirater. Celle de Livingscorp. Jusqu'à présent, ses recherches n'avaient encore rien donné, mais un fichier intitulé «NIVEAU 33.1» avait attiré son attention.
Niveau 33.1. C'était donc la clef de tous ces mystères.
Elle n'avait plus le choix ; si elle ne souhaitait pas devenir une fugitive toute sa vie, elle devrait détruire le Niveau 33.1.
EPILOGUE« Je m'appelle Elena Kira Myns. Bien sûr, ce nom n'est qu'un pseudonyme. Il y a huit ans, mes parents ont perdu la vie dans une explosion visant notre maison au Brésil. Quelques mois plus tard, mon frère s'est sacrifié pour me sauver la vie à la frontière mexicaine. Depuis, je n'ai qu'un objectif, les venger. Peu importe le temps que cela me prendra, j'y parviendrai ! Récemment, j'ai découvert l'existence d'une organisation secrète effectuant des recherches scientifiques sur les personnes contaminées par la pluie de météorites. Après m'être aperçue de leur mauvaises intentions, je l'ai fuie, nourrissant chaque jour ma haine avec ce seul objectif : les détruire une bonne fois pour toute. »